Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des relations naturelles, ce n’est pas se placer dans un état d’indépendance, mais dans un état d’isolement.

Et remarquez ceci : on s’isole dans la prévision de la guerre ; mais l’acte même de s’isoler est un commencement de guerre. Il la rend plus facile, moins onéreuse et, partant, moins impopulaire. Que les peuples soient les uns aux autres des débouchés permanents ; que leurs relations ne puissent être rompues sans leur infliger la double souffrance de la privation et de l’encombrement, et ils n’auront plus besoin de ces puissantes marines qui les ruinent, de ces grandes armées qui les écrasent ; la paix du monde ne sera pas compromise par le caprice d’un Thiers ou d’un Palmerston, et la guerre disparaîtra faute d’aliments, de ressources, de motifs, de prétextes et de sympathie populaire.

Je sais bien qu’on me reprochera (c’est la mode du jour) de donner pour base à la fraternité des peuples l’intérêt, le vil et prosaïque intérêt. On aimerait mieux qu’elle eût son principe dans la charité, dans l’amour, qu’il y fallût même un peu d’abnégation, et que, froissant le bien-être matériel des hommes, elle eût le mérite d’un généreux sacrifice.

Quand donc en finirons-nous avec ces puériles déclamations ? Quand bannirons-nous enfin la tartuferie de la science ? Quand cesserons-nous de mettre cette contradiction nauséabonde entre nos écrits et nos actions ? Nous huons, nous conspuons l’intérêt, c’est-à-dire l’utile, le bien (car dire que tous les peuples sont intéressés à une chose, c’est dire que cette chose est bonne en soi), comme si l’intérêt n’était pas le mobile nécessaire, éternel, indestructible, à qui la Providence a confié la perfectibilité humaine ! Ne dirait-on pas que nous sommes tous des anges de désintéressement ? Et pense-t-on que le public ne commence pas à voir avec dégoût que ce langage affecté noircit précisément les pages qu’on lui fait payer le plus cher ? Oh ! l’affectation ! l’affectation ! c’est vraiment la maladie de ce siècle.