Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/157

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plice. — Après cela je ne puis pas empêcher que les choses ne soient ce qu’elles sont.

Qu’on se figure une espèce de Diogène mettant la tête hors de son tonneau, et disant : « Athéniens, vous vous faites servir par des esclaves. N’avez-vous jamais pensé que vous exerciez sur vos frères la plus inique des spoliations ? »

Ou encore, un tribun parlant ainsi dans le Forum : « Romains, vous avez fondé tous vos moyens d’existence sur le pillage successif de tous les peuples. »

Certes, ils ne feraient qu’exprimer une vérité incontestable. Faudrait-il en conclure qu’Athènes et Rome n’étaient habitées que par de malhonnêtes gens ? que Socrate et Platon, Caton et Cincinnatus étaient des personnages méprisables ?

Qui pourrait avoir une telle pensée ? Mais ces grands hommes vivaient dans un milieu qui leur ôtait la conscience de leur injustice. On sait qu’Aristote ne pouvait pas même se faire l’idée qu’une société pût exister sans esclavage.

Dans les temps modernes, l’esclavage a vécu jusqu’à nos jours sans exciter beaucoup de scrupules dans l’âme des planteurs. Des armées ont servi d’instrument à de grandes conquêtes, c’est-à-dire à de grandes spoliations. Est-ce à dire qu’elles ne fourmillent pas de soldats et d’officiers, personnellement aussi délicats, plus délicats peut-être qu’on ne l’est généralement dans les carrières industrielles ; d’hommes à qui la pensée seule d’un vol ferait monter le rouge au front, et qui affronteraient mille morts plutôt que de descendre à une bassesse ?

Ce qui est blâmable ce ne sont pas les individus, mais le mouvement général qui les entraîne et les aveugle, mouvement dont la société entière est coupable.

Il en est ainsi du Monopole. J’accuse le système, et non point les individus ; la société en masse, et non tel ou tel de ses membres. Si les plus grands philosophes ont pu se