Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/184

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Nous empruntons à la perfide Albion la doctrine de la liberté !

Et eux, ne lui empruntent-ils pas les arguties de la protection ?

Nous suivons l’impulsion de Bordeaux et du Midi !

Et eux, ne servent-ils pas la cupidité de Lille et du Nord ?

Nous favorisons les secrets desseins du ministère, qui veut détourner l’attention de sa politique !

Et eux, ne favorisent-ils pas les vues de la liste civile, qui gagne, par le régime protecteur, plus que qui que ce soit au monde ?

Vous voyez donc bien que, si nous ne méprisions cette guerre de dénigrement, les armes ne nous manqueraient pas.

Mais ce n’est pas ce dont il s’agit.

La question, et je ne la perdrai pas de vue, est celle-ci :

Qu’est-ce qui vaut mieux pour les classes laborieuses, être libres, ou n’être pas libres d’acheter au dehors ?

Ouvriers, on vous dit : « Si vous êtes libres d’acheter au dehors ce que vous faites maintenant vous-mêmes, vous ne le ferez plus ; vous serez sans travail, sans salaire et sans pain ; c’est donc pour votre bien qu’on restreint votre liberté. »

Cette objection revient sous toutes les formes. On dit, par exemple : « Si nous nous habillons avec du drap anglais, si nous faisons nos charrues avec du fer anglais, si nous coupons notre pain avec des couteaux anglais, si nous essuyons nos mains dans des serviettes anglaises, que deviendront les ouvriers français, que deviendra le travail national ? »

Dites-moi, ouvriers, si un homme se tenait sur le port de Boulogne, et qu’à chaque Anglais qui débarque, il dit : Voulez-vous me donner ces bottes anglaises, je vous donnerai ce chapeau français ? — Ou bien : Voulez-vous me céder ce cheval anglais, je vous céderai ce tilbury français ?