Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/211

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— Des pauvres ! justement, on débarrasse le pays de ce trop-plein.

— Grand merci ! en les faisant suivre en Algérie du capital qui les ferait vivre ici.

— Et puis vous jetez les bases d’un grand empire, vous portez la civilisation en Afrique, et vous décorez votre patrie d’une gloire immortelle.

— Vous êtes poëte, monsieur le percepteur ; mais moi je suis vigneron, et je refuse.

— Considérez que, dans quelque mille ans, vous recouvrerez vos avances au centuple. C’est ce que disent ceux qui dirigent l’entreprise.

— En attendant, ils ne demandaient d’abord, pour parer aux frais, qu’une pièce de vin, puis deux, puis trois, et me voilà taxé à un tonneau ! Je persiste dans mon refus.

— Il n’est plus temps. Votre chargé de pouvoirs a stipulé pour vous l’octroi d’un tonneau ou quatre pièces entières.

— Il n’est que trop vrai. Maudite faiblesse ! Il me semblait aussi en lui donnant ma procuration que je commettais une imprudence, car qu’y a-t-il de commun entre un général d’armée et un vigneron ?

— Vous voyez bien qu’il y a quelque chose de commun entre vous, ne fût-ce que le vin que vous récoltez et qu’il se vote à lui-même, en votre nom.

— Raillez-moi, je le mérite, monsieur le percepteur. Mais soyez raisonnable, là, laissez-moi au moins le sixième tonneau. Voilà l’intérêt des dettes payé, la liste civile pourvue, les services publics assurés, la guerre d’Afrique perpétuée. Que voulez-vous de plus ?

— On ne marchande pas avec moi. Il fallait dire vos intentions à M. le général. Maintenant, il a disposé de votre vendange.

— Maudit grognard ! Mais enfin, que voulez-vous faire de ce pauvre tonneau, la fleur de mon chai ? Tenez, goûtez ce