Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/214

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XI. — L’UTOPISTE[1].


— Si j’étais ministre de Sa Majesté !…

— Eh bien, que feriez-vous ?

— Je commencerais par… par…, ma foi, par être fort embarrassé. Car enfin, je ne serais ministre que parce que j’aurais la majorité ; je n’aurais la majorité que parce que je me la serais faite ; je ne me la serais faite, honnêtement du moins, qu’en gouvernant selon ses idées… Donc, si j’entreprenais de faire prévaloir les miennes en contrariant les siennes, je n’aurais plus la majorité, et si je n’avais pas la majorité, je ne serais pas ministre de Sa Majesté.

— Je suppose que vous le soyez et que par conséquent la majorité ne soit pas pour vous un obstacle ; que feriez-vous ?

— Je rechercherais de quel côté est le juste.

— Et ensuite ?

— Je chercherais de quel côté est l’utile.

— Et puis ?

— Je chercherais s’ils s’accordent ou se gourment entre eux.

— Et si vous trouviez qu’ils ne s’accordent pas ?

— Je dirais au roi Philippe :
Reprenez votre portefeuille.
La rime n’est pas riche et le style en est vieux ;
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces transactions dont le bon sens murmure,
Et que l’honnêteté parle là toute pure ?

— Mais si vous reconnaissez que le juste et l’utile c’est tout un ?

  1. Tiré du Libre-Échange, n° du 17 janvier 1847. (Note de l’éditeur.)