Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/240

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faut convenir que c’est une douce chose. Mais, hélas ! que de braves gens, comme le Roi d’Yvetot,

Soufflent, faute de bois,
Dans leurs doigts.

Malheureuses créatures ! le ciel m’inspire une pensée charitable. Vous voyez ces beaux arbres, je les veux abattre et distribuer le bois aux pauvres.

Paul et Jean. Quoi ! gratis ?

Pierre. Pas précisément. C’en serait bientôt fait de mes bonnes œuvres, si je dissipais ainsi mon bien. J’estime que mon parc vaut vingt mille livres ; en l’abattant j’en tirerai bien davantage.

Paul. Erreur. Votre bois sur pied a plus de valeur que celui des forêts voisines, car il rend des services que celui-ci ne peut pas rendre. Abattu, il ne sera bon, comme l’autre, qu’au chauffage, et ne vaudra pas un denier de plus la voie.

Pierre. Oh ! oh ! Monsieur le théoricien, vous oubliez que je suis, moi, un homme de pratique. Je croyais ma réputation de spéculateur assez bien établie, pour me mettre à l’abri d’être taxé de niaiserie. Pensez-vous que je vais m’amuser à vendre mon bois au prix du bois flotté ?

Paul. Il le faudra bien.

Pierre. Innocent ! Et si j’empêche le bois flotté d’arriver à Paris ?

Paul. Ceci changerait la question. Mais comment vous y prendrez-vous ?

Pierre. Voici tout le secret. Vous savez que le bois flotté paie à l’entrée dix sous la voie. Demain je décide les Échevins à porter le droit à 100, 200, 300 livres, enfin, assez haut pour qu’il n’entre pas de quoi faire une bûche. — Eh ! saisissez-vous ? — Si le bon peuple ne veut pas crever de froid, il faudra bien qu’il vienne à mon chantier. On se battra pour avoir mon bois, je le vendrai au poids de l’or,