Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/381

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monte et qui marche, ou plutôt la matière brute dont la machine est faite !

Ainsi entre le Législateur et le Prince, entre le Prince et les sujets, il y a les mêmes rapports qu’entre l’agronome et l’agriculteur, l’agriculteur et la glèbe. À quelle hauteur au-dessus de l’humanité est donc placé le publiciste, qui régente les Législateurs eux-mêmes et leur enseigne leur métier en ces termes impératifs :

« Voulez-vous donner de la consistance à l’État ? rapprochez les degrés extrêmes autant qu’il est possible. Ne souffrez ni des gens opulents ni des gueux.

« Le sol est-il ingrat ou stérile, ou le pays trop serré pour les habitants, tournez-vous du côté de l’industrie et des arts, dont vous échangerez les productions contre les denrées qui vous manquent… Dans un bon terrain, manquez-vous d’habitants, donnez tous vos soins à l’agriculture, qui multiplie les hommes, et chassez les arts, qui ne feraient qu’achever de dépeupler le pays… Occupez-vous des rivages étendus et commodes, couvrez la mer de vaisseaux, vous aurez une existence brillante et courte. La mer ne baigne-t-elle sur vos côtes que des rochers inaccessibles, restez barbares et ichthyophages, vous en vivrez plus tranquilles, meilleurs peut-être, et, à coup sûr, plus heureux. En un mot, outre les maximes communes à tous, chaque peuple renferme en lui quelque cause qui les ordonne d’une manière particulière, et rend sa législation propre à lui seul. C’est ainsi qu’autrefois les Hébreux, et récemment les Arabes, ont eu pour principal objet la religion ; les Athéniens, les lettres ; Carthage et Tyr, le commerce ; Rhodes, la marine ; Sparte, la guerre, et Rome, la vertu. L’auteur de l’Esprit des Lois a montré par quel art le législateur dirige l’institution vers chacun de ces objets… Mais si le législateur, se trompant dans son objet, prend un principe différent de celui qui naît de la nature des choses, que l’un tende à la servitude et l’autre à la liberté ; l’un aux richesses, l’autre à la population ; l’un à la paix, l’autre aux conquêtes, on verra les lois s’affaiblir insensiblement, la constitution s’altérer, et l’État ne cessera d’être agité jusqu’à ce qu’il soit détruit ou changé, et que l’invincible nature ait repris son empire. »

Mais si la nature est assez invincible pour reprendre son empire, pourquoi Rousseau n’admet-il pas qu’elle n’avait pas besoin du Législateur pour prendre cet empire dès l’ori-