Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/332

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pour un an, le champ que j’ai clos, défriché, desséché ; j’ai droit à une rémunération susceptible d’être évaluée. Pourvu qu’elle soit évaluée encore qu’on me la paie en objets matériels, comme du froment et de la monnaie, qu’avez-vous à dire ? Voulez-vous donc prohiber les trois quarts des transactions que les hommes font volontairement entre eux et probablement parce que cela leur convient ? Vous nous parlez toujours de nous affranchir, et ne nous présentez jamais que de nouvelles entraves.

Ici, M. Proudhon intervenant, a abandonné la théorie de M. Chevé et m’a opposé l’antinomie. L’intérêt est à la fois légitime et illégitime, a-t-il dit. Il implique une contradiction, comme la propriété, comme la liberté, comme tout ; car la contradiction est l’essence même des phénomènes. J’ai répondu que, sur ce principe, ni lui, ni moi, ni aucun homme, ne pouvait jamais avoir ni tort ni raison, sur ce sujet ; qu’adopter ce point de départ, c’était s’interdire d’arriver jamais à aucune solution, puisque c’était proclamer d’avance que toute proposition est à la fois vraie et fausse. Une telle théorie ne discrédite pas seulement tout raisonnement, mais elle récuse jusqu’à la faculté de raisonner. Quel est, dans une discussion, le signe auquel on peut reconnaître qu’un des deux adversaires a tort ? C’est d’être forcé d’avouer que ses propres arguments se contredisent. Or, c’est justement quand M. Proudhon en est réduit là qu’il triomphe. Je me contredis, donc je suis dans le vrai, car la contradiction est l’essence des phénomènes. Certes, je pouvais refuser le combat, si M. Proudhon eût insisté à m’imposer pour arme une telle logique.

J’ai été plus loin, cependant, et je me suis donné la peine de rechercher comment M. Proudhon avait succombé à la théorie des contradictions. Je l’attribue à ce qu’il conclut de la perfectibilité à la perfection absolue. Or, il est très-vrai que la perfection absolue est pour nous