Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était bien naturelle. Les philosophes modernes qui déclament contre la richesse, sans tenir compte de la différence des moyens d’acquisition, se croient des Sénèques, des Christs. Ils ne sont que des perroquets répétant ce qu’ils ne comprennent pas.

Mais la question que se pose l’économie politique est celle-ci : La richesse est-elle un bien moral ou un mal moral pour l’humanité ? Le développement progressif de la richesse implique-t-il, au point de vue moral, un perfectionnement ou une décadence ?

Le lecteur pressent ma réponse, et il comprend que j’ai dû dire quelques mots de la question de morale individuelle pour échapper à cette contradiction ou plutôt à cette impossibilité : Ce qui est une immoralité individuelle est une moralité générale.

Sans recourir à la statistique, sans consulter les écrous de nos prisons, on peut aborder un problème qui s’énonce en ces termes :

L’homme se dégrade-t-il à mesure qu’il exerce plus d’empire sur les choses et la nature, qu’il la réduit à le servir, qu’il se crée ainsi des loisirs, et que, s’affranchissant des besoins les plus impérieux de son organisation, il peut tirer de l’inertie, où elles sommeillaient, des facultés intellectuelles et morales qui ne lui ont pas été sans doute accordées pour rester dans une éternelle léthargie ?

L’homme se dégrade-t-il à mesure qu’il s’éloigne, pour ainsi dire, de l’état le plus inorganique, pour s’élever vers l’état le plus spiritualiste dont il puisse approcher ?

Poser ainsi le problème, c’est le résoudre.

Je conviendrai volontiers que lorsque la richesse se développe par des moyens immoraux, elle a une influence immorale, comme chez les Romains.

Je conviendrai encore que lorsqu’elle se développe d’une manière fort inégale, creusant un abîme de plus en plus