Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/293

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utilité, et même en utilité naturelle. Il peut manger une fois davantage.

Sans doute, mais n’a-t-il pas accompli le double de travail ?

Allons néanmoins au fond de l’objection.

La richesse essentielle, absolue, nous l’avons déjà dit, réside dans l’utilité. C’est ce qu’exprime ce mot lui-même. Il n’y a que l’utilité qui serve (uti, servir). Elle seule est en rapport avec nos besoins, et c’est elle seule que l’homme a en vue quand il travaille. C’est du moins elle qu’il poursuit en définitive, car les choses ne satisfont pas notre faim et notre soif parce qu’elles renferment de la valeur, mais de l’utilité.

Cependant il faut se rendre compte du phénomène que produit à cet égard la société.

Dans l’isolement, l’homme aspirerait à réaliser de l’utilité sans se préoccuper de la valeur dont la notion même ne pourrait exister pour lui.

Dans l’état social, au contraire, l’homme aspire à réaliser de la valeur sans se préoccuper de l’utilité. La chose qu’il produit n’est pas destinée à ses propres besoins. Dès lors peu lui importe qu’elle soit plus ou moins utile. C’est à celui qui éprouve le désir à la juger à ce point de vue. Quant à lui, ce qui l’intéresse, c’est qu’on y attache, sur le marché, la plus grande valeur possible, certain qu’il retirera de ce marché, et à son choix, d’autant plus d’utilités qu’il y aura apporté plus de valeur.

La séparation des occupations amène cet état de choses que chacun produit ce qu’il ne consommera pas, et consomme ce qu’il n’a pas produit. Comme producteurs, nous poursuivons la valeur ; comme consommateurs, l’utilité. Cela est d’expérience universelle. Celui qui polit un diamant, brode de la dentelle, distille de l’eau-de-vie, ou cultive du pavot, ne se demande pas si la consommation de