Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/370

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prise. Mais moi je regarde surtout celle que je vous épargne ; car, sachant que c’est la limite de votre résistance, j’en fais celle de ma prétention. Comme ce que je fais avec une peine égale à dix, vous pouvez le faire chez vous avec une peine égale à cent, si je vous demandais en retour de mon sucre un produit qui vous coûtât une peine égale à cent un, il est certain que vous me refuseriez ; mais je n’exige qu’une peine de quatre vingt-dix-neuf. Vous pourrez bien bouder pendant quelque temps ; mais vous y viendrez, car à ce taux il y a encore avantage pour vous dans l’échange. Vous trouvez ces bases injustes ; mais après tout ce n’est pas à vous, c’est à moi que Dieu a fait don d’une température élevée. Je me sais en mesure d’exploiter ce bienfait de la Providence en vous en privant, si vous ne consentez à me payer une taxe, car je n’ai pas de concurrents. Ainsi voilà mon sucre, mon cacao, mon café, mon coton. Prenez-les aux conditions que je vous impose, ou faites-les vous-même, ou passez-vous-en. »

Il est vrai que l’Européen pourrait à son tour tenir à l’homme des tropiques un langage analogue : « Bouleversez votre sol, dirait-il, creusez des puits, cherchez du fer et de la houille, et félicitez-vous si vous en trouvez : car, sinon, c’est ma résolution de pousser aussi à l’extrême mes exigences. Dieu nous a fait deux dons précieux. Nous en prenons d’abord ce qu’il nous faut, puis nous ne souffrons pas que d’autres y touchent sans nous payer un droit d’aubaine. »

Si les choses se passaient ainsi, la rigueur scientifique ne permettrait pas encore d’attribuer aux agents naturels la Valeur qui réside essentiellement dans les services. Mais il serait permis de s’y tromper, car le résultat serait absolument le même. Les services s’échangeraient toujours contre des services, mais ils ne manifesteraient aucune tendance à se mesurer par les efforts, par le travail. Les dons de Dieu seraient des priviléges personnels et non des biens communs,