Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veulent nous ramener. Tout progrès, ils le suppriment sous prétexte qu’il s’écarte de ces formes.

Nous allons voir que c’est par suite des mêmes préventions, de la même ignorance, qu’ils déclament sans cesse, soit contre l’intérêt, soit contre le salaire, formes fixes et par conséquent très-perfectionnées de la rémunération qui revient au capital et au travail.

Le salariat a été particulièrement en butte aux coups des socialistes. Peu s’en faut qu’ils ne l’aient signalé comme une forme à peine adoucie de l’esclavage ou du servage. En tout cas, ils y ont vu une convention abusive et léonine, qui n’a de la liberté que l’apparence, une oppression du faible par le fort, une tyrannie exercée par le capital sur le travail.

Éternellement en lutte sur les institutions à fonder, ils montrent dans leur commune haine des institutions existantes, et notamment du salariat, une touchante unanimité ; car s’ils ne peuvent se mettre d’accord sur l’ordre social de leur préférence, il faut leur rendre cette justice qu’ils s’entendent toujours pour déconsidérer, décrier, calomnier, haïr et faire haïr ce qui est. J’en ai dit ailleurs la raison[1].

Malheureusement, tout ne s’est point passé dans le domaine de la discussion philosophique ; et la propagande socialiste, secondée par une presse ignorante et lâche, qui, sans s’avouer socialiste, n’en cherchait pas moins la popularité dans des déclamations à la mode, est parvenue à faire pénétrer la haine du salariat dans la classe même des salariés. Les ouvriers se sont dégoûtés de cette forme de rémunération. Elle leur a paru injuste, humiliante, odieuse. Ils ont cru qu’elle les frappait du sceau de la servitude. Ils ont voulu participer selon d’autres procédés à la répartition de la richesse. De là à s’engouer des plus folles utopies, il n’y

  1. Chap. Ier, pages 30 et 31, et chap. i, page 45 et suiv.