Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/605

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voir, dans le corps humain, le chef-d’œuvre le plus accompli qui soit sorti des mains du Créateur ?

Mais si le corps social est assujetti à la souffrance, si même il peut souffrir jusqu’à en mourir, il n’y est pas fatalement condamné. Quoi qu’on en ait dit, il n’a pas en perspective, après s’être élevé à son apogée, un inévitable déclin. L’écroulement même des empires, ce n’est pas la rétrogradation de l’humanité ; et les vieux moules de la civilisation ne se dissolvent que pour faire place à une civilisation plus avancée. Les dynasties peuvent s’éteindre, les formes du pouvoir peuvent changer ; le genre humain n’en progresse pas moins. La chute des États ressemble à la chute des feuilles en automne. Elle fertilise le sol, se coordonne au retour du printemps, et promet aux générations futures une végétation plus riche et des moissons plus abondantes. Que dis-je ! même au point de vue purement national, cette théorie de la décadence nécessaire est aussi fausse que surannée. Il est impossible d’apercevoir dans le mode de vie d’un peuple aucune cause de déclin inévitable. L’analogie, qui a si souvent fait comparer une nation à un individu et attribuer à l’une comme à l’autre une enfance et une vieillesse, n’est qu’une fausse métaphore. Une communauté se renouvelle incessamment. Que ses institutions soient élastiques et flexibles, qu’au lieu de venir en collision avec les puissances nouvelles qu’enfante l’esprit humain, elles soient organisées de manière à admettre cette expansion de l’énergie intellectuelle et à s’y accommoder ; et l’on ne voit aucune raison pour qu’elle ne fleurisse pas dans une éternelle jeunesse. Mais, quoi qu’on pense de la fragilité et du fracas des empires, toujours est-il que la société, qui, dans son ensemble, se confond avec l’humanité, est constituée sur des bases plus solides. Plus on l’étudie, plus on reste convaincu qu’elle aussi a été pourvue, comme le corps humain, d’une force curative qui la délivre de ses