Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 7.djvu/336

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été ce qu’il serait, en Espagne, si la presse de ce pays tout entière s’entendait pour puiser toute citation de nos journaux dans la Quotidienne.

Un autre moyen, qui a été employé avec beaucoup de succès, c’est le silence. Chaque fois qu’une grande question s’est agitée, en Angleterre, et qu’elle a été de nature à révéler ce qu’il y avait dans ce pays de vie, de lumière, de chaleur et de sincérité, on peut être sûr que nos journaux se sont attachés à empêcher, par le silence, que le fait ne vînt à la connaissance du public français ; et, s’il l’a fallu, ils se sont imposé dix ans de mutisme. Quelque extraordinaire que cela paraisse, l’agitation anglaise contre le régime protecteur en fait foi.

Enfin, une autre fraude patriotique dont on a usé amplement, ce sont les fausses traductions, les additions, suppressions et substitutions de mots. En altérant ainsi le sens et l’esprit des discours, il n’est pas d’indignation qu’on n’ait pu soulever dans l’âme de nos compatriotes. Il suffisait, par exemple, quand on trouvait gallant French qui veut dire braves français (gallant, c’est le mot vaillant qui a été transporté en Angleterre et qui n’a subi d’autre changement que celui du v initial en g, à l’inverse de ce qui s’est fait pour les mots : garant, warrant, guêpe, wasp, guerre, war), de traduire ainsi : nation efféminée, galante, corrompue. Quelquefois on allait jusqu’à substituer le mot haine au mot amitié, et ainsi de suite[1].

  1. On pourrait plaider, en faveur des journaux, français, une circonstance atténuante. Il y eut, ce me semble, de leur part, ignorance spéciale, prévention, inadvertance plutôt que calcul, dans la plupart des méfaits que Bastiat leur reproche. Qu’on examine, par exemple, les lettres qu’il dut adresser, en septembre et en novembre 1846, à deux des coryphées du journalisme parisien, les rédacteurs en chef de la Presse et du National, et l’on se convaincra que ces deux feuilles, n’entrevoyaient ni la marche ni l’importance du débat sur les Corn-Laws, en Angleterre. — Voir pages 148 à 166. (Note de l’édit.)