Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/24

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au bord de l’abîme, au-dessus de la vaste mer qui roulait, à cent mètres sous nous, ses petits flots. Et nous buvions, la bouche ouverte et la poitrine dilatée, ce souffle frais qui avait passé l’Océan et qui nous glissait sur la peau, lent et salé par le long baiser des vagues.

Serrée dans son châle à carreaux, l’air inspiré, les dents au vent, l’Anglaise regardait l’énorme soleil s’abaisser vers la mer. Devant nous, là-bas, là-bas, à la limite de la vue, un trois-mâts couvert de voiles dessinait sa silhouette sur le ciel enflammé, et un vapeur, plus proche, passait en déroulant sa fumée qui laissait derrière lui un nuage sans fin traversant tout l’horizon.

Le globe rouge descendait toujours, lentement. Et bientôt il toucha l’eau, juste derrière le navire immobile qui apparut comme dans un cadre de fer, au milieu de l’astre éclatant. Il s’enfonçait peu à peu, dévoré par l’Océan. On le voyait plonger, diminuer, disparaître. C’était fini. Seul le petit bâtiment montrait toujours son profil découpé sur le fond d’or du ciel lointain.

Miss Harriet contemplait d’un regard passionné la fin flamboyante du jour. Et elle avait certes une envie immodérée d’étreindre le ciel, la mer, tout l’horizon.