Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/324

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— Tu ne m'intéresses pas ; je ne songe plus qu'aux pays clairs. Oh ! comme ce pauvre Gautier devait souffrir, toujours habité par le désir de l'Orient. Tu ne sais pas ce que c'est, comme il vous prend, ce pays, vous captive, vous pénètre jusqu'au coeur, et ne vous lâche plus. Il entre en vous par l'oeil, par la peau, par toutes ses séductions invincibles, et il vous tient par un invisible fil qui vous tire sans cesse, en quelque lieu du monde que le hasard vous ait jeté. Je prends la drogue pour y penser dans la délicieuse torpeur de l'opium.

Il se tut et ferma les yeux. Je demandai :

— Qu'éprouves-tu de si agréable à prendre ce poison ? Quel bonheur physique donne-t-il donc, qu'on en absorbe jusqu'à la mort ?

Il répondit :

— Ce n'est point un bonheur physique ; c'est mieux, c'est plus. Je suis souvent triste ; je déteste la vie, qui me blesse chaque jour par tous ses angles, par toutes ses duretés. L'opium console de tout, fait prendre son parti de tout. Connais-tu cet état de l'âme que je pourrais appeler l'irritation harcelante ? Je vis ordinairement dans cet état. Deux choses m'en peuvent guérir : l'opium, ou