Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/207

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mère avait été capable de diriger ses études, de l’éclairer et de mettre en harmonie les dons de la nature : ses défauts provenaient de la funeste éducation que le vieux Corse avait pris plaisir à lui donner.

Après avoir pendant long-temps fait crier sous ses pas les feuilles du parquet, le vieillard sonna. Un domestique parut.

— Allez au-devant de mademoiselle Ginevra, dit-il.

— J’ai toujours regretté de ne plus avoir de voiture pour elle, observa la baronne.

— Elle n’en a pas voulu, répondit Piombo en regardant sa femme qui, accoutumée depuis quarante ans à son rôle d’obéissance, baissa les yeux.

Déjà septuagénaire, grande, sèche, pâle et ridée, la baronne ressemblait parfaitement à ces vieilles femmes que Schnetz met dans les scènes italiennes de ses tableaux de genre ; elle restait si habituellement silencieuse, qu’on l’eût prise pour une nouvelle madame Shandy ; mais un mot, un regard, un geste annonçaient que ses sentiments avaient gardé la vigueur et la fraîcheur de la jeunesse. Sa toilette, dépouillée de coquetterie, manquait souvent de goût. Elle demeurait ordinairement passive, plongée dans une bergère, comme une sultane Validé, attendant ou admirant sa Ginevra, son orgueil et sa vie. La beauté, la toilette, la grâce de sa fille, semblaient être devenues siennes. Tout pour elle était bien quand Ginevra se trouvait heureuse. Ses cheveux avaient blanchi, et quelques mèches se voyaient au-dessus de son front blanc et ridé, ou le long de ses joues creuses.

— Voilà quinze jours environ, dit-elle, que Ginevra rentre un peu plus tard.

— Jean n’ira pas assez vite, s’écria l’impatient vieillard qui croisa les basques de son habit bleu, saisit son chapeau, l’enfonça sur sa tête, prit sa canne et partit.

— Tu n’iras pas loin, lui cria sa femme.

En effet, la porte cochère s’était ouverte et fermée, et la vieille mère entendait le pas de Ginevra dans la cour. Bartholoméo reparut tout à coup portant en triomphe sa fille, qui se débattait dans ses bras.

— La voici, la Ginevra, la Ginevrettina, la Ginevrina, la Ginevrola, la Ginevretta, la Ginevra bella !

— Mon père, vous me faites mal.

Aussitôt Ginevra fut posée à terre avec une sorte de respect. Elle