Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/208

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agita la tête par un gracieux mouvement pour rassurer sa mère qui déjà s’effrayait, et pour lui dire que c’était une ruse. Le visage terne et pâle de la baronne reprit alors ses couleurs et une espèce de gaieté. Piombo se frotta les mains avec une force extrême, symptôme le plus certain de sa joie ; il avait pris cette habitude à la cour en voyant Napoléon se mettre en colère contre ceux de ses généraux ou de ses ministres qui le servaient mal ou qui avaient commis quelque faute. Les muscles de sa figure une fois détendus, la moindre ride de son front exprimait la bienveillance. Ces deux vieillards offraient en ce moment une image exacte de ces plantes souffrantes auxquelles un peu d’eau rend la vie après une longue sécheresse.

— À table, à table ! s’écria le baron en présentant sa large main à Ginevra qu’il nomma Signora Piombellina, autre symptôme de gaieté auquel sa fille répondit par un sourire.

— Ah çà, dit Piombo en sortant de table, sais-tu que ta mère m’a fait observer que depuis un mois tu restes beaucoup plus long-temps que de coutume à ton atelier ? Il paraît que la peinture passe avant nous.

— Ô mon père !

— Ginevra nous prépare sans doute quelque surprise, dit la mère.

— Tu m’apporterais un tableau de toi ?… s’écria le Corse en frappant dans ses mains.

— Oui, je suis très-occupée à l’atelier, répondit-elle.

— Qu’as-tu donc, Ginevra ? Tu pâlis ! lui dit sa mère.

— Non ! s’écria la jeune fille en laissant échapper un geste de résolution, non, il ne sera pas dit que Ginevra Piombo aura menti une fois dans sa vie.

En entendant cette singulière exclamation, Piombo et sa femme regardèrent leur fille d’un air étonné.

— J’aime un jeune homme, ajouta-t-elle d’une voix émue.

Puis, sans oser regarder ses parents, elle abaissa ses larges paupières, comme pour voiler le feu de ses yeux.

— Est-ce un prince ? lui demanda ironiquement son père en prenant un son de voix qui fit trembler la mère et la fille.

— Non, mon père, répondit-elle avec modestie, c’est un jeune homme sans fortune…

— Il est donc bien beau ?

— Il est malheureux.