Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/226

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que leur causait ce mariage si triste en apparence. Quand la jeune fille se trouva dans la cour de la mairie et sous le ciel, un soupir s’échappa de son sein.

— Oh ! toute une vie de soins et d’amour suffira-t-elle pour reconnaître le courage et la tendresse de ma Ginevra ? lui dit Luigi.

À ces mots accompagnés par des larmes de bonheur, la mariée oublia toutes ses souffrances ; car elle avait souffert de se présenter devant le monde, en réclamant un bonheur que sa famille refusait de sanctionner.

— Pourquoi les hommes se mettent-ils donc entre nous ? dit-elle avec une naïveté de sentiment qui ravit Luigi.

Le plaisir rendit les deux époux plus légers. Ils ne virent ni ciel, ni terre, ni maisons, et volèrent comme avec des ailes vers l’église. Enfin, ils arrivèrent à une petite chapelle obscure et devant un autel sans pompe où un vieux prêtre célébra leur union. Là, comme à la mairie, ils furent entourés par les deux noces qui les persécutaient de leur éclat. L’église, pleine d’amis et de parents, retentissait du bruit que faisaient les carrosses, les bedeaux, les suisses, les prêtres. Des autels brillaient de tout le luxe ecclésiastique, les couronnes de fleurs d’oranger qui paraient les statues de la Vierge semblaient être neuves. On ne voyait que fleurs, que parfums, que cierges étincelants, que coussins de velours brodés d’or. Dieu paraissait être complice de cette joie d’un jour. Quand il fallut tenir au-dessus des têtes de Luigi et de Ginevra ce symbole d’union éternelle, ce joug de satin blanc, doux, brillant, léger pour les uns, et de plomb pour le plus grand nombre, le prêtre chercha, mais en vain, les jeunes garçons qui remplissent ce joyeux office : deux des témoins les remplacèrent. L’ecclésiastique fit à la hâte une instruction aux époux sur les périls de la vie, sur les devoirs qu’ils enseigneraient un jour à leurs enfants ; et, à ce sujet, il glissa un reproche indirect sur l’absence des parents de Ginevra ; puis, après les avoir unis devant Dieu, comme le maire les avait unis devant la Loi, il acheva sa messe et les quitta.

— Dieu les bénisse ! dit Vergniaud au maçon sous le porche de l’église. Jamais deux créatures ne furent mieux faites l’une pour l’autre. Les parents de cette fille-là sont des infirmes. Je ne connais pas de soldat plus brave que le colonel Louis ! Si tout le monde s’était comporté comme lui, l’autre y serait encore.