Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/254

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comme un feu auquel s’épuraient encore les plus nobles sentiments, un feu qui les développait tous. Je n’ai plus qu’une seule chose à te dire : viens à moi pauvre, mon amour redoublera si cela se peut ; sinon, renonce à moi. Si je ne te vois plus, je sais ce qui me reste à faire. Maintenant, je ne veux pas, entends-moi bien, que tu restitues parce que je te le conseille. Consulte bien ta conscience. Il ne faut pas que cet acte de justice soit un sacrifice fait à l’amour. Je suis ta femme, et non ta maîtresse ; il s’agit moins de me plaire que de m’inspirer pour toi la plus profonde estime. Si je me trompe, si tu m’as mal expliqué l’action de ton père ; enfin, pour peu que tu croies ta fortune légitime (oh ! je voudrais me persuader que tu ne mérites aucun blâme !), décide en écoutant la voix de ta conscience, agis bien par toi-même. Un homme qui aime sincèrement, comme tu m’aimes, respecte trop tout ce que sa femme met en lui de sainteté pour être improbe. Je me reproche maintenant tout ce que je viens d’écrire. Un mot suffisait peut-être, et mon instinct de prêcheuse m’a emportée. Aussi voudrais-je être grondée, pas trop fort, mais un peu. Cher, entre nous deux, n’es-tu pas le pouvoir ? tu dois seul apercevoir tes fautes. Eh ! bien, mon maître, diriez-vous que je ne comprends rien aux discussions politiques ? »

— Eh ! bien, mon oncle, dit Octave dont les yeux étaient pleins de larmes.

— Mais je vois encore de l’écriture, achève donc.

— Oh ! maintenant, il n’y a plus que de ces choses qui ne doivent être lues que par un amant.

— Bien ! dit le vieillard, bien, mon enfant. J’ai eu beaucoup de bonnes fortunes ; mais je te prie de croire que j’ai aussi aimé, et ego in Arcadiâ. Seulement, je ne conçois pas pourquoi tu donnes des leçons de mathématiques.

— Mon cher oncle, je suis votre neveu ; n’est-ce pas vous dire, en deux mots, que j’avais bien un peu entamé le capital laissé par mon père ? Après avoir lu cette lettre, il s’est fait en moi toute une révolution, et j’ai payé en un moment l’arriéré de mes remords. Je ne pourrai jamais vous peindre l’état dans lequel j’étais. En conduisant mon cabriolet au bois, une voix me criait : « Ce cheval est-il à toi ? » En mangeant, je me disais : « N’est-ce pas un dîner volé ? » J’avais honte de moi-même. Plus jeune était ma probité, plus elle était ardente. D’abord, j’ai couru chez madame Firmiani.