Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il mettait à franchir l’espace de chaussée occupé par la porte et par les trois fenêtres de la maison. De jour en jour cette rapide entrevue eut un caractère d’intimité bienveillante qui finit par contracter quelque chose de fraternel. Caroline et l’inconnu parurent d’abord se comprendre ; puis, à force d’examiner l’un et l’autre leurs visages, ils en prirent une connaissance approfondie. Ce fut bientôt comme une visite que le passant faisait à Caroline ; si, par hasard, son monsieur noir passait sans lui apporter le sourire à demi formé par sa bouche éloquente ou le regard ami de ses yeux bruns, il lui manquait quelque chose : sa journée était incomplète. Elle ressemblait à ces vieillards pour lesquels la lecture de leur journal est devenue un tel plaisir, que, le lendemain d’une fête solennelle, ils s’en vont tout déroutés demandant, autant par mégarde que par impatience, la feuille à l’aide de laquelle ils trompent un moment le vide de leur existence. Mais ces fugitives apparitions avaient, autant pour l’inconnu que pour Caroline, l’intérêt d’une causerie familière entre deux amis. La jeune fille ne pouvait pas plus dérober à l’œil intelligent de son silencieux ami une tristesse, une inquiétude, un malaise que celui-ci ne pouvait cacher à Caroline une préoccupation. — « Il a eu du chagrin hier ! » était une pensée qui naissait souvent au cœur de l’ouvrière quand elle contemplait, la figure altérée du monsieur noir. — « Oh ! il a beaucoup travaillé ! » était une exclamation due à d’autres nuances que Caroline savait distinguer. L’inconnu devinait aussi que la jeune fille avait passé son dimanche à finir la robe au dessin de laquelle il s’était intéressé ; il voyait, aux approches des termes de loyer, cette jolie figure assombrie par l’inquiétude, et il devinait quand Caroline avait veillé ; mais il avait surtout remarqué comment les pensées tristes qui défloraient les traits gais et délicats de cette jeune tête s’étaient graduellement dissipées à mesure que leur connaissance avait vieilli. Lorsque l’hiver vint sécher les tiges, les fleurs et les feuillages du jardin parisien qui décorait la fenêtre, et que la fenêtre se ferma, l’inconnu ne vit pas, sans un sourire doucement malicieux, la clarté extraordinaire du carreau qui se trouvait à la hauteur de la tête de Caroline ; la parcimonie du feu, quelques traces d’une rougeur qui couperosait la figure des deux femmes lui dénoncèrent l’indigence du petit ménage ; mais si quelque douloureuse compassion se peignait alors dans ses yeux, Caroline lui opposait une gaieté fière. Cependant