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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/283

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que année, ce jour ramenait-il une fête de cœur. Caroline désigna le linge qui devait servir au repas et dirigea l’arrangement du dessert. Après avoir pris avec bonheur les soins qui touchaient Roger, elle déposa la petite fille dans sa jolie barcelonnette, vint se placer sur le balcon et ne tarda pas à voir paraître le cabriolet par lequel son ami, parvenu à la maturité de l’homme, avait remplacé l’élégant tilbury des premiers jours. Après avoir essuyé le premier feu des caresses de Caroline et du petit espiègle qui l’appelait papa, Roger alla au berceau, contempla le sommeil de sa fille, la baisa sur le front, et tira de la poche de son habit un long papier bariolé de lignes noires.

— Caroline, dit-il, voici la dot de mademoiselle Eugénie de Bellefeuille.

La mère prit avec reconnaissance le titre dotal, une inscription au grand-livre de la dette publique.

— Pourquoi trois mille francs de rente à Eugénie, quand tu n’as donné que quinze cents francs à Charles ?

— Charles, mon ange, sera un homme, répondit-il. Quinze cents francs lui suffiront. Avec ce revenu, un homme courageux est au-dessus de la misère. Si, par hasard, ton fils est un homme nul, je ne veux pas qu’il puisse faire des folies. S’il a de l’ambition, cette modicité de fortune lui inspirera le goût du travail. Eugénie est femme, il lui faut une dot.

Le père se mit à jouer avec Charles dont les caressantes démonstrations annonçaient l’indépendance et la liberté de son éducation. Aucune crainte établie entre le père et l’enfant ne détruisait ce charme qui récompense la paternité de ses obligations, et la gaieté de cette petite famille était aussi douce que vraie. Le soir, une lanterne magique étala sur une toile blanche ses piéges et ses mystérieux tableaux, à la grande surprise de Charles. Plus d’une fois les joies célestes de cette innocente créature excitèrent des fous rires sur les lèvres de Caroline et de Roger. Quand, plus tard, le petit garçon fut couché, la petite fille s’éveilla demandant sa limpide nourriture. À la clarté d’une lampe, au coin du foyer, dans cette chambre de paix et de plaisir, Roger s’abandonna donc au bonheur de contempler le tableau suave que lui présentait cet enfant suspendu au sein de Caroline blanche, fraîche comme un lis nouvellement éclos et dont les cheveux retombaient en milliers de boucles brunes qui laissaient à peine voir son cou. La lueur faisait ressortir