Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/306

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causes. L’ennui trace autour de ces maisons malheureuses un cercle d’airain qui renferme l’horreur du désert et l’infini du vide. Un ménage n’est pas alors un tombeau, mais quelque chose de pire, un couvent. Au sein de cette sphère glaciale, le magistrat considéra sa femme sans passion : il remarqua, non sans une vive peine, l’étroitesse d’idées que trahissait la manière dont les cheveux étaient implantés sur le front bas et légèrement creusé ; il aperçut dans la régularité si parfaite des traits du visage je ne sais quoi d’arrêté, de rigide qui lui rendit bientôt haïssable la feinte douceur par laquelle il fut séduit. Il devina qu’un jour ces lèvres minces pourraient lui dire, un malheur arrivant : « C’est pour ton bien, mon ami. » La figure de madame de Granville prit une teinte blafarde, une expression sérieuse qui tuait la joie chez ceux qui l’approchaient. Ce changement fut-il opéré par les habitudes ascétiques d’une dévotion qui n’est pas plus la piété que l’avarice n’est l’économie, était-il produit par la sécheresse naturelle aux âmes bigotes ? il serait difficile de prononcer : la beauté sans expression est peut-être une imposture. L’imperturbable sourire que la jeune femme fit contracter à son visage en regardant Granville, paraissait être chez elle une formule jésuitique de bonheur par laquelle elle croyait satisfaire à toutes les exigences du mariage ; sa charité blessait, sa beauté sans passion semblait une monstruosité à ceux qui la connaissaient, et la plus douce de ses paroles impatientait ; elle n’obéissait pas à des sentiments, mais à des devoirs. Il est des défauts qui, chez une femme, peuvent céder aux leçons fortes données par l’expérience ou par un mari, mais rien ne peut combattre la tyrannie des fausses idées religieuses. Une éternité bienheureuse à conquérir, mise en balance avec un plaisir mondain, triomphe de tout et fait tout supporter. N’est-ce pas l’égoïsme divinisé, le moi par-delà le tombeau ? Aussi, le pape fut-il condamné au tribunal de l’infaillible chanoine et de la jeune dévote. Ne pas avoir tort est un des sentiments qui remplacent tous les autres chez ces âmes despotiques. Depuis quelque temps, il s’était établi un secret combat entre les idées des deux époux, et le jeune magistrat se fatigua bientôt d’une lutte qui ne devait jamais cesser. Quel homme, quel caractère résiste à la vue d’un visage amoureusement hypocrite, et à une remontrance catégorique opposée aux moindres volontés ? Quel parti prendre contre une femme qui se sert de votre passion pour protéger son insensibilité, qui semble résolue à rester douce-