un homme, et que les conjectures de son confesseur ruinaient complétement les illusions dont elle s’était nourrie jusqu’en ce moment, elle prit la défense de son mari, mais sans pouvoir détruire un soupçon si habilement glissé dans son âme. Ces appréhensions causèrent de tels ravages dans sa faible tête qu’elle en tomba malade, et devint la proie d’une fièvre lente. Ces événements se passaient pendant le carême de l’année 1822, elle ne voulut pas consentir à cesser ses austérités, et arriva lentement à un état de consomption qui fit trembler pour ses jours. Les regards indifférents de Granville la tuaient. Les soins et les attentions du magistrat ressemblaient à ceux qu’un neveu s’efforce de prodiguer à un vieil oncle. Quoique la comtesse eût renoncé à son système de taquinerie et de remontrances et qu’elle essayât d’accueillir son mari par de douces paroles, l’aigreur de la dévote perçait et détruisait souvent par un mot l’ouvrage d’une semaine.
Vers la fin du mois de mai, les chaudes haleines du printemps, un régime plus nourrissant que celui du carême rendirent quelques forces à madame de Granville. Un matin, au retour de la messe, elle vint s’asseoir dans son petit jardin sur un banc de pierre où les caresses du soleil lui rappelèrent les premiers jours de son mariage, elle embrassa sa vie d’un coup d’œil afin de voir en quoi elle avait pu manquer à ses devoirs de mère et d’épouse. L’abbé Fontanon apparut alors dans une agitation difficile à décrire.
— Vous serait-il arrivé quelque malheur, mon père, lui demanda-t-elle avec une filiale sollicitude.
— Ah ! je voudrais, répondit le prêtre normand, que toutes les infortunes dont vous afflige la main de Dieu me fussent départies ; mais, ma respectable amie, c’est des épreuves auxquelles il faut savoir vous soumettre.
— Eh ! peut-il m’arriver des châtiments plus grands que ceux par lesquels sa providence m’accable en se servant de mon mari comme d’un instrument de colère ?
— Préparez-vous, ma fille, à plus de mal encore que nous n’en supposions jadis avec vos pieuses amies.
— Je dois alors remercier Dieu, répondit la comtesse, de ce qu’il daigne se servir de vous pour me transmettre ses volontés, plaçant ainsi, comme toujours, les trésors de sa miséricorde auprès des fléaux de sa colère, comme jadis en bannissant Agar il lui découvrait une source dans le désert.