Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/312

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— Il a mesuré vos peines à la force de votre résignation et au poids de vos fautes.

— Parlez, je suis prête à tout entendre. À ces mots, la comtesse leva les yeux au ciel, et ajouta : Parlez, monsieur Fontanon.

— Depuis sept ans, monsieur Granville commet le péché d’adultère avec une concubine de laquelle il a deux enfants, et il a dissipé pour ce ménage adultérin plus de cinq cent mille francs qui devraient appartenir à sa famille légitime.

— Il faudrait que je le visse de mes propres yeux, dit la comtesse.

— Gardez-vous-en bien, s’écria l’abbé. Vous devez pardonner, ma fille, et attendre, dans la prière, que Dieu éclaire votre époux, à moins d’employer contre lui les moyens que vous offrent les lois humaines.

La longue conversation que l’abbé Fontanon eut alors avec sa pénitente produisit un changement violent dans la comtesse ; elle le congédia, montra sa figure presque colorée à ses gens qui furent effrayés de son activité de folle : elle commanda d’atteler ses chevaux, ordre qu’elle donnait rarement ; elle les décommanda, changea d’avis vingt fois dans la même heure ; mais enfin, comme si elle prenait une grande résolution, elle partit sur les trois heures, laissant sa maison étonnée d’une si subite révolution.

— Monsieur doit-il revenir dîner, avait-elle demandé au valet de chambre à qui elle ne parlait jamais.

— Non, madame.

— L’avez-vous conduit au Palais ce matin ?

— Oui, madame.

— N’est-ce pas aujourd’hui lundi ?

— Oui, madame.

— On va donc maintenant au Palais le lundi.

— Que le diable t’emporte ! s’écria le valet en voyant partir sa maîtresse qui dit au cocher : rue Taitbout.

Mademoiselle de Bellefeuille était en deuil et pleurait. Auprès d’elle, Roger tenait une des mains de son amie entre les siennes, gardait le silence, et regardait tour à tour le petit Charles qui ne comprenant rien au deuil de sa mère restait muet en la voyant pleurer, et le berceau où dormait Eugénie, et le visage de Caroline sur lequel la tristesse ressemblait à une pluie tombant à travers les rayons d’un joyeux soleil.