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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/337

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L’affligée sourit tristement.

— Accordez-moi l’honneur, madame, d’être votre cavalier pour la contredanse suivante, et je ne vous ramènerai certes pas ici ! Je vois près de la cheminée une gondole vide, venez-y. Quand tant de gens s’apprêtent à trôner, et que la folie du jour est la royauté, je ne conçois pas que vous refusiez d’accepter le titre de reine du bal qui semble promis à votre beauté.

— Monsieur, je ne danserai pas.

L’intonation brève des réponses de cette femme était si désespérante, que le colonel se vit forcé d’abandonner la place. Martial, qui devina la dernière demande du colonel et le refus qu’il essuyait, se mit à sourire et se caressa le menton en faisant briller la bague qu’il avait au doigt.

— De quoi riez-vous ? lui dit la comtesse de Vaudremont.

— De l’insuccès de ce pauvre colonel, qui vient de faire un pas de clerc…

— Je vous avais prié d’ôter votre bague, reprit la comtesse en l’interrompant.

— Je ne l’ai pas entendu.

— Si vous n’entendez rien ce soir, vous savez voir tout, monsieur le baron, répondit madame de Vaudremont d’un air piqué.

— Voilà un jeune homme qui montre un bien beau brillant, dit alors l’inconnue au colonel.

— Magnifique, répondit-il. Ce jeune homme est le baron Martial de la Roche-Hugon, un de mes plus intimes amis.

— Je vous remercie de m’avoir dit son nom, reprit-elle, il paraît fort aimable.

— Oui, mais il est un peu léger.

— On pourrait croire qu’il est bien avec la comtesse de Vaudremont, demanda la jeune dame en interrogeant des yeux le colonel.

— Du dernier mieux !

L’inconnue pâlit.

— Allons, pensa le militaire, elle aime ce diable de Martial.

Je croyais madame de Vaudremont engagée depuis longtemps avec monsieur de Soulanges, reprit la jeune femme un peu remise de la souffrance intérieure qui venait d’altérer l’éclat de son visage.

— Depuis huit jours, la comtesse le trompe, répondit le colonel. Mais vous devez avoir vu ce pauvre Soulanges à son entrée ; il essaie encore de ne pas croire à son malheur.