Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/341

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connue, et regardant la comtesse avec une attention gênante.

— Vous avez deviné, répondit la coquette en se cachant la figure sous son éventail, avec lequel elle se mit à jouer. La vieille madame de Grandlieu, qui, vous le savez, est maligne comme un vieux singe, reprit-elle après un moment de silence, vient de me dire que monsieur de la Roche-Hugon courait quelques dangers à courtiser cette inconnue qui se trouve ce soir ici comme un trouble-fête. J’aimerais mieux voir la mort que cette figure si cruellement belle et pâle autant qu’une vision. C’est mon mauvais génie. Madame de Grandlieu, continua-t-elle après avoir laissé échapper un signe de dépit, qui ne va au bal que pour tout voir en faisant semblant de dormir, m’a cruellement inquiétée. Martial me paiera cher le tour qu’il me joue. Cependant, engagez-le, général, puisque c’est votre ami, à ne pas me faire de la peine.

— Je viens de voir un homme qui ne se propose rien moins que de lui brûler la cervelle s’il s’adresse à cette petite dame. Cet homme-là, madame, est de parole. Mais je connais Martial, ces périls sont autant d’encouragements. Il y a plus ; nous avons parié. Ici le colonel baissa la voix.

— Serait-ce vrai ? demanda la comtesse.

— Sur mon honneur.

— Merci, général, répondit madame de Vaudremont en lui lançant un regard plein de coquetterie.

— Me ferez-vous l’honneur de danser avec moi ?

— Oui, mais la seconde contredanse. Pendant celle-ci, je veux savoir ce que peut devenir cette intrigue, et savoir qui est cette petite dame bleue, elle a l’air spirituel.

Le colonel, voyant que madame de Vaudremont voulait être seule, s’éloigna satisfait d’avoir si bien commencé son attaque.

Il se rencontre dans les fêtes quelques dames qui, semblables à madame de Grandlieu, sont là comme de vieux marins occupés sur le bord de la mer à contempler les jeunes matelots aux prises avec les tempêtes. En ce moment, madame de Grandlieu, qui paraissait s’intéresser aux personnages de cette scène, put facilement deviner la lutte à laquelle la comtesse était en proie. La jeune coquette avait beau s’éventer gracieusement, sourire à des jeunes gens qui la saluaient et mettre en usage les ruses dont se sert une femme pour cacher son émotion, la douairière, l’une des plus perspicaces et malicieuses duchesses que le dix-huitième siècle avait léguées au