Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/369

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et la regardait d’un œil que la satiété conjugale ne tiédissait pas encore. Déjà cette petite comtesse fluette avait su se rendre maîtresse chez elle, car elle répondit à peine aux admirations d’Adam. Dans ses regards jetés à la dérobée sur lui, peut-être y avait-il déjà la conscience de la supériorité d’une Parisienne sur ce Polonais mièvre, maigre et rouge.

— Voilà Paz, dit le comte en entendant un pas qui retentissait dans la galerie.

La comtesse vit entrer un grand bel homme, bien fait, qui portait sur sa figure les traces de cette douceur, fruit de la force et du courage. Paz avait mis à la hâte une de ces redingotes serrées, à brandebourgs attachés par des olives, qui jadis s’appelaient des polonaises. D’abondants cheveux noirs assez mal peignés entouraient sa tête carrée, et Clémentine put voir, brillant comme un bloc de marbre, un front large, car Paz tenait à la main une casquette à visière. Cette main ressemblait à celle de l’Hercule à l’Enfant. La santé la plus robuste fleurissait sur ce visage également partagé par un grand nez romain qui rappela les beaux Trasteverins à Clémentine. Une cravate en taffetas noir achevait de donner une tournure martiale à ce mystère de cinq pieds sept pouces aux yeux de jais et d’un éclat italien. L’ampleur d’un pantalon à plis qui ne laissait voir que le bout des bottes, trahissait le culte de Paz pour les modes de la Pologne. Vraiment, pour une femme romanesque, il y aurait eu du burlesque dans le contraste si heurté qui se remarquait entre le capitaine et le comte, entre ce petit polonais à figure étroite et ce beau militaire, entre ce paladin et ce palatin.

— Bonjour, Adam, dit-il familièrement au comte.

Puis il s’inclina gracieusement en demandant à Clémentine en quoi il pouvait la servir.

— Vous êtes donc l’ami de Laginski ? dit la jeune femme.

— À la vie, à la mort, répondit Paz, à qui le jeune comte jeta le plus affectueux sourire en lançant sa dernière bouffée de fumée odorante.

— Eh bien ! pourquoi ne mangez-vous pas avec nous ? pourquoi ne nous avez-vous pas accompagnés en Italie et en Suisse ? pourquoi vous cachez-vous ici de manière à vous dérober aux remerciements que je vous dois pour les services constants que vous nous rendez ? dit la jeune comtesse avec une sorte de vivacité, mais sans la moindre émotion.