Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/445

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allée de jeunes tilleuls. Au bout d’une heure, il entendit parler et marcher au-dessous de sa tête, mais les mots qui parvinrent à son oreille étaient tous italiens et prononcés par deux voix de femmes, deux jeunes femmes. Il profita du moment où les deux interlocutrices se trouvaient à une extrémité pour se glisser à l’autre sans bruit. Après une demi-heure d’efforts, il atteignit au bout de l’allée et put, sans être aperçu ni entendu, prendre une position d’où il verrait les deux femmes sans être vu par elles quand elles viendraient à lui. Quel ne fut pas l’étonnement de Rodolphe en reconnaissant la petite muette pour une des deux femmes, elle parlait en italien avec miss Lovelace. Il était alors onze heures du soir. Le calme était si grand sur le lac et autour de l’habitation, que ces deux femmes devaient se croire en sûreté : dans tout Gersau il n’y avait que leurs yeux qui pussent être ouverts. Rodolphe pensa que le mutisme de la petite était une ruse nécessaire. À la manière dont se parlait l’italien, Rodolphe devina que c’était la langue maternelle de ces deux femmes, il en conclut que la qualité d’Anglais cachait une ruse.

— C’est des Italiens réfugiés, se dit-il, des proscrits qui sans doute ont à craindre la police de l’Autriche ou de la Sardaigne. La jeune fille attend la nuit pour pouvoir se promener et causer en toute sûreté.

Aussitôt il se coucha le long de la haie et rampa comme un serpent pour trouver un passage entre deux racines d’acacia. Au risque d’y laisser son habit ou de se faire de profondes blessures au dos, il traversa la haie quand la prétendue miss Fanny et sa prétendue muette furent à l’autre extrémité de l’allée ; puis quand elles arrivèrent à vingt pas de lui sans le voir, car il se trouvait dans l’ombre de la haie alors fortement éclairée par la lueur de la lune, il se leva brusquement.

— Ne craignez rien, dit-il en français à l’Italienne, je ne suis pas un espion. Vous êtes des réfugiés, je l’ai deviné. Moi, je suis un Français qu’un seul de vos regards a cloué à Gersau.

Rodolphe, atteint par la douleur que lui causa un instrument d’acier en lui déchirant le flanc, tomba terrassé.

Nel lago con pietra, dit la terrible muette.

— Ah ! Gina, s’écria l’Italienne.

— Elle m’a manqué, dit Rodolphe en retirant de la plaie un stylet qui s’était heurté contre une fausse côte ; mais, un peu