Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/456

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homme, candide comme un enfant, et de qui je fais ce que je veux. Il est, ajouta-t-elle, sous ma protection. Si vous saviez avec quelle noblesse il a risqué sa vie et sa fortune parce que j’étais libérale ! car il ne partage pas mes opinions politiques. Est-ce aimer cela, monsieur le Français ? — Mais ils sont ainsi dans leur famille. Le frère cadet d’Emilio fut trahi par celle qu’il aimait pour un charmant jeune homme. Il s’est passé son épée au travers du cœur, et dix minutes auparavant il a dit à son valet de chambre : — Je tuerais bien mon rival ; mais cela ferait trop de chagrin à la diva.

Ce mélange de noblesse et de raillerie, de grandeur et d’enfantillage, faisait en ce moment de Francesca la créature la plus attrayante du monde. Le dîner fut, ainsi que la soirée, empreint d’une gaieté que la délivrance des deux réfugiés justifiait, mais qui contrista Rodolphe.

— Serait-elle légère ? se disait-il en regagnant la maison Stopfer. Elle a pris part à mon deuil, et moi je n’épouse pas sa joie !

Il se gronda, justifia cette femme-jeune-fille.

— Elle est sans aucune hypocrisie et s’abandonne à ses impressions…, se dit-il. Et je la voudrais comme une Parisienne.

Le lendemain et les jours suivants, pendant vingt jours enfin, Rodolphe passa tout son temps à la maison Bergmann, observant Francesca sans s’être promis de l’observer. L’admiration chez certaines âmes ne va pas sans une sorte de pénétration. Le jeune Français reconnut en Francesca la jeune fille imprudente, la nature vraie de la femme encore insoumise, se débattant par instants avec son amour, et s’y laissant aller complaisamment en d’autres moments. Le vieillard se comportait bien avec elle comme un père avec sa fille, et Francesca lui témoignait une reconnaissance profondément sentie qui réveillait en elle d’instinctives noblesses. Cette situation et cette femme présentaient à Rodolphe une énigme impénétrable, mais dont la recherche l’attachait de plus en plus.

Ces derniers jours furent remplis de fêtes secrètes, entremêlées de mélancolies, de révoltes, de querelles plus charmantes que les heures où Rodolphe et Francesca s’entendaient. Enfin, il était de plus en plus séduit par la naïveté de cette tendresse sans esprit, semblable à elle-même en toute chose, de cette tendresse jalouse d’un rien… déjà !

— Vous aimez bien le luxe ! dit-il un soir à Francesca qui ma-