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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/113

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en a-t-il été pour moi sur-le-champ ainsi ? Ma mère avait éveillé chez moi mille craintes ; ses prévisions, qui m’ont semblé pleines de jalousie, quoique sans la moindre petitesse bourgeoise, ont été trompées par l’événement, car tes craintes et les siennes, les miennes, tout s’est dissipé ! Nous sommes restés à Chantepleurs sept mois et demi, comme deux amants dont l’un a enlevé l’autre, et qui ont fui des parents courroucés. Les roses du plaisir ont couronné notre amour, elles fleurissent notre vie à deux. Par un retour subit sur moi-même, un matin où j’étais plus pleinement heureuse, j’ai songé à ma Renée et à son mariage de convenance, et j’ai deviné ta vie, je l’ai pénétrée ! Ô mon ange, pourquoi parlons-nous une langue différente ? Ton mariage purement social, et mon mariage qui n’est qu’un amour heureux, sont deux mondes qui ne peuvent pas plus se comprendre que le fini ne peut comprendre l’infini. Tu restes sur la terre, je suis dans le ciel ! Tu es dans la sphère humaine, et je suis dans la sphère divine. Je règne par l’amour, tu règnes par le calcul et par le devoir. Je suis si haut que s’il y avait une chute je serais brisée en mille miettes. Enfin, je dois me taire, car j’ai honte de te peindre l’éclat, la richesse, les pimpantes joies d’un pareil printemps d’amour.

Nous sommes à Paris depuis dix jours, dans un charmant hôtel, rue du Bac, arrangé par l’architecte que Felipe avait chargé d’arranger Chantepleurs. Je viens d’entendre, l’âme épanouie par les plaisirs permis d’un heureux mariage, la céleste musique de Rossini que j’avais entendue l’âme inquiète, tourmentée à mon insu par les curiosités de l’amour. On m’a trouvée généralement embellie, et je suis comme une enfant en m’entendant appeler madame.


Vendredi matin.

Renée, ma belle sainte, mon bonheur me ramène sans cesse à toi. Je me sens meilleure pour toi que je ne l’ai jamais été : je te suis si dévouée ! J’ai si profondément étudié ta vie conjugale par le commencement de la mienne, et je te vois si grande, si noble, si magnifiquement vertueuse, que je me constitue ici ton inférieure, ta sincère admiratrice, en même temps que ton amie. En voyant ce qu’est mon mariage, il m’est à peu près prouvé que je serais morte s’il en eût été autrement. Et tu vis ! par quel sentiment, dis-le-moi ? Aussi ne te ferai-je plus la moindre plaisanterie. Hélas !