Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/114

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la plaisanterie, mon ange, est fille de l’ignorance, on se moque de ce qu’on ne connaît point. Là où les recrues se mettent à rire, les soldats éprouvés sont graves, m’a dit le marquis de Chaulieu, pauvre capitaine de cavalerie qui n’est encore allé que de Paris à Fontainebleau, et de Fontainebleau à Paris. Aussi, ma chère aimée, deviné-je que tu ne m’as pas tout dit. Oui, tu m’as voilé quelques plaies. Tu souffres, je le sens. Je me suis fait à propos de toi des romans d’idées en voulant à distance et par le peu que tu m’as dit de toi, trouver les raisons de ta conduite. Elle s’est seulement essayée au mariage, pensai-je un soir, et ce qui se trouve bonheur pour moi n’a été que souffrance pour elle. Elle en est pour ses sacrifices, et veut limiter leur nombre. Elle a déguisé ses chagrins sous les pompeux axiomes de la morale sociale. Ah ! Renée, il y a cela d’admirable, que le plaisir n’a pas besoin de religion, d’appareil, ni de grands mots, il est tout par lui-même ; tandis que pour justifier les atroces combinaisons de notre esclavage et de notre vassalité, les hommes ont accumulé les théories et les maximes. Si tes immolations sont belles, sont sublimes ; mon bonheur, abrité sous le poêle blanc et or de l’église et paraphé par le plus maussade des maires, serait donc une monstruosité ? Pour l’honneur des lois, pour toi, mais surtout pour rendre mes plaisirs entiers, je te voudrais heureuse, ma Renée. Oh ! dis-moi que tu te sens venir au cœur un peu d’amour pour ce Louis qui t’adore ? Dis-moi que la torche symbolique et solennelle de l’hyménée n’a pas servi qu’à t’éclairer des ténèbres ? car l’amour, mon ange, est bien exactement pour la nature morale ce qu’est le soleil pour la terre. Je reviens toujours à te parler de ce jour qui m’éclaire et qui, je le crains, me consumera. Chère Renée, toi qui disais dans tes extases d’amitié, sous le berceau de vigne, au fond du couvent : — Je t’aime tant, Louise, que si Dieu se manifestait, je lui demanderais toutes les peines, et pour toi toutes les joies de la vie. Oui, j’ai la passion de la souffrance ! Eh ! bien, ma chérie, aujourd’hui je te rends la pareille, et demande à grands cris à Dieu de nous partager mes plaisirs.

Écoute : j’ai deviné que tu t’es faite ambitieuse sous le nom de Louis de l’Estorade, eh ! bien, aux prochaines élections, fais-le nommer député, car il aura près de quarante ans, et comme la chambre ne s’assemblera que six mois après les élections, il se trouvera précisément de l’âge requis pour être un homme politique. Tu viendras à Paris, je ne te dis que cela. Mon père et les amis que