Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monsieur, lui dis-je, je mets une condition à ma reconnaissance : ne parlez de ces bâtiments et du parc à qui que ce soit. Que personne ne puisse connaître le nom du propriétaire, promettez-moi sur l’honneur d’observer cette clause de mon paiement.

Comprends-tu maintenant la raison de mes courses subites, de ces allées et venues secrètes ? vois-tu où se trouvent ces belles choses qu’on croyait vendues ? Saisis-tu la haute raison du changement de ma fortune ? Ma chère, aimer est une grande affaire, et qui veut bien aimer ne doit pas en avoir d’autre. L’argent ne sera plus un souci pour moi ; j’ai rendu la vie facile, et j’ai fait une bonne fois la maîtresse de maison pour ne plus avoir à la faire, excepté pendant dix minutes tous les matins avec mon vieux majordome Philippe. J’ai bien observé la vie et ses tournants dangereux ; un jour, la mort m’a donné de cruels enseignements, et j’en veux profiter. Ma seule occupation sera de lui plaire et de l’aimer, de jeter la variété dans ce qui paraît si monotone aux êtres vulgaires.

Gaston ne sait rien encore. À ma demande, il s’est, comme moi, domicilié sur Ville-d’Avray ; nous partons demain pour le Chalet. Notre vie sera là peu coûteuse ; mais si je te disais pour quelle somme je compte ma toilette, tu dirais, et avec raison : Elle est folle ! Je veux me parer pour lui, tous les jours, comme les femmes ont l’habitude de se parer pour le monde. Ma toilette à la campagne, toute l’année, coûtera vingt-quatre mille francs, et celle du jour n’est pas la plus chère. Lui peut se mettre en blouse, s’il le veut ! Ne va pas croire que je veuille faire de cette vie un duel et m’épuiser en combinaisons pour entretenir l’amour : je ne veux pas avoir un reproche à me faire, voilà tout. J’ai treize ans à être jolie femme, je veux être aimée le dernier jour de la treizième année encore mieux que je ne le serai le lendemain de mes noces mystérieuses. Cette fois, je serai toujours humble, toujours reconnaissante, sans parole caustique ; et je me fais servante, puisque le commandement m’a perdue une première fois. Ô Renée, si, comme moi, Gaston a compris l’infini de l’amour, je suis certaine de vivre toujours heureuse. La nature est bien belle autour du Chalet, les bois sont ravissants. À chaque pas les plus frais paysages, des points de vue forestiers font plaisir à l’âme en réveillant de charmantes idées. Ces bois sont pleins d’amour. Pourvu que j’aie fait autre chose que de me préparer un magnifique bûcher ! Après