Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/169

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demain, je serai madame Gaston. Mon Dieu, je me demande s’il est bien chrétien d’aimer autant un homme. — Enfin, c’est légal, m’a dit notre homme d’affaires, qui est un de mes témoins, et qui, voyant enfin l’objet de la liquidation de ma fortune, s’est écrié : — J’y perds une cliente. Toi, ma belle biche, je n’ose plus dire aimée, tu peux dire : — J’y perds une sœur.

Mon ange, adresse désormais à madame Gaston, poste restante, à Versailles. On ira prendre nos lettres là tous les jours. Je ne veux pas que nous soyons connus dans le pays. Nous enverrons chercher toutes nos provisions à Paris. Ainsi, j’espère pouvoir vivre mystérieusement. Depuis un an que cette retraite est préparée, on n’y a vu personne, et l’acquisition a été faite pendant les mouvements qui ont suivi la révolution de juillet. Le seul être qui se soit montré dans le pays est mon architecte : on ne connaît que lui qui ne reviendra plus. Adieu. En t’écrivant ce mot, j’ai dans le cœur autant de peine que de plaisir ; n’est-ce pas te regretter aussi puissamment que j’aime Gaston ?




XLIX

MARIE GASTON À DANIEL D’ARTHEZ.


Octobre 1834.

Mon cher Daniel, j’ai besoin de deux témoins pour mon mariage ; je vous prie de venir chez moi demain soir en vous faisant accompagner de notre ami, le bon et grand Joseph Bridau. L’intention de celle qui sera ma femme est de vivre loin du monde et parfaitement ignorée : elle a pressenti le plus cher de mes vœux. Vous n’avez rien su de mes amours, vous qui m’avez adouci les misères d’une vie pauvre ; mais, vous le devinez, ce secret absolu fut une nécessité. Voilà pourquoi, depuis un an, nous nous sommes si peu vus. Le lendemain de mon mariage, nous serons séparés pour longtemps. Daniel, vous avez l’âme faite à me comprendre : l’amitié subsistera sans l’ami. Peut-être aurai-je parfois besoin de vous ; mais je ne vous verrai point, chez moi du moins. Elle est encore allée