Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/170

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au-devant de nos souhaits en ceci. Elle m’a fait le sacrifice de l’amitié qu’elle a pour une amie d’enfance qui pour elle est une véritable sœur ; j’ai dû lui immoler mon ami. Ce que je vous dis ici vous fera sans doute deviner non pas une passion, mais un amour entier, complet, divin, fondé sur une intime connaissance entre les deux êtres qui se lient ainsi. Mon bonheur est pur, infini ; mais, comme il est une loi secrète qui nous défend d’avoir une félicité sans mélange, au fond de mon âme et ensevelie dans le dernier repli, je cache une pensée par laquelle je suis atteint tout seul, et qu’elle ignore. Vous avez trop souvent aidé ma constante misère pour ignorer l’horrible situation dans laquelle j’étais. Où puisai-je le courage de vivre lorsque l’espérance s’éteignait si souvent ? dans votre passé, mon ami, chez vous où je trouvais tant de consolations et de secours délicats. Enfin, mon cher, mes écrasantes dettes, elle les a payées. Elle est riche, et je n’ai rien. Combien de fois n’ai-je pas dit dans mes accès de paresse : Ah ! si quelque femme riche voulait de moi. Eh ! bien, en présence du fait, les plaisanteries de la jeunesse insouciante, le parti pris des malheureux sans scrupule, tout s’est évanoui. Je suis humilié, malgré la tendresse la plus ingénieuse. Je suis humilié, malgré la certitude acquise de la noblesse de son âme. Je suis humilié, tout en sachant que mon humiliation est une preuve de mon amour. Enfin, elle a vu que je n’ai pas reculé devant cet abaissement. Il est un point où, loin d’être le protecteur, je suis le protégé. Cette douleur, je vous la confie. Hors ce point, mon cher Daniel, les moindres choses accomplissent mes rêves. J’ai trouvé le beau sans tache, le bien sans défaut. Enfin, comme on dit, la mariée est trop belle : elle a de l’esprit dans la tendresse, elle a ce charme et cette grâce qui mettent de la variété dans l’amour, elle est instruite et comprend tout ; elle est jolie, blonde, mince et légèrement grasse, à faire croire que Raphaël et Rubens se sont entendus pour composer une femme ! Je ne sais pas s’il m’eût jamais été possible d’aimer une femme brune autant qu’une blonde : il m’a toujours semblé que la femme brune était un garçon manqué. Elle est veuve, elle n’a point eu d’enfants, elle a vingt-sept ans. Quoique vive, alerte, infatigable, elle sait néanmoins se plaire aux méditations de la mélancolie. Ces dons merveilleux n’excluent pas chez elle la dignité ni la noblesse : elle est imposante. Quoiqu’elle appartienne à l’une des vieilles familles les plus entichées de noblesse, elle m’aime assez pour passer par-dessus