Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/319

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de quelques portraits de famille, garni de quatre tables de jeu, autour desquelles seize personnes babillaient en jouant au whist. Là, ne pensant à rien, mais digérant un de ces dîners exquis, l’avenir de la journée en province, il se surprit à justifier les usages du pays. Il concevait pourquoi ces gens-là continuaient à se servir des cartes de la veille, à les battre sur des tapis usés, et comment ils arrivaient à ne plus s’habiller ni pour eux-mêmes ni pour les autres. Il devinait je ne sais quelle philosophie dans le mouvement uniforme de cette vie circulaire, dans le calme de ces habitudes logiques et dans l’ignorance des choses élégantes. Enfin il comprenait presque l’inutilité du luxe. La ville de Paris, avec ses passions, ses orages et ses plaisirs, n’était déjà plus dans son esprit que comme un souvenir d’enfance. Il admirait de bonne foi les mains rouges, l’air modeste et craintif d’une jeune personne dont, à la première vue, la figure lui avait paru niaise, les manières sans grâces, l’ensemble repoussant et la mine souverainement ridicule. C’en était fait de lui. Venu de la province à Paris, il allait retomber de l’existence inflammatoire de Paris dans la froide vie de province, sans une phrase qui frappa son oreille et lui apporta soudain une émotion semblable à celle que lui aurait causée quelque motif original parmi les accompagnements d’un opéra ennuyeux.

— N’êtes-vous pas allé voir hier madame de Beauséant ? dit une vieille femme au chef de la maison princière du pays.

— J’y suis allé ce matin, répondit-il. Je l’ai trouvée bien triste et si souffrante que je n’ai pas pu la décider à venir dîner demain avec nous.

— Avec madame de Champignelles ? s’écria la douairière en manifestant une sorte de surprise.

— Avec ma femme, dit tranquillement le gentilhomme. Madame de Beauséant n’est-elle pas de la maison de Bourgogne ? Par les femmes, il est vrai ; mais enfin ce nom-là blanchit tout. Ma femme aime beaucoup la vicomtesse, et la pauvre dame est depuis si longtemps seule que…

En disant ces derniers mots, le marquis de Champignelles regarda d’un air calme et froid les personnes qui l’écoutaient en l’examinant ; mais il fut presque impossible de deviner s’il faisait une concession au malheur ou à la noblesse de madame de Beauséant, s’il était flatté de la recevoir, ou s’il voulait forcer par orgueil les gentilshommes du pays et leurs femmes à la voir.