Aller au contenu

Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaient à terre. Des bas que le moindre souffle d’air aurait emportés, étaient tortillés dans le pied d’un fauteuil. De blanches jarretières flottaient le long d’une causeuse. Un éventail de prix, à moitié déplié, reluisait sur la cheminée. Les tiroirs de la commode restaient ouverts. Des fleurs, des diamants, des gants, un bouquet, une ceinture gisaient çà et là. Je respirais une vague odeur de parfums. Tout était luxe et désordre, beauté sans harmonie. Mais déjà pour elle ou pour son adorateur, la misère, tapie là-dessous, dressait la tête et leur faisait sentir ses dents aiguës. La figure fatiguée de la comtesse ressemblait à cette chambre parsemée des débris d’une fête. Ces brimborions épars me faisaient pitié ; rassemblés, ils avaient causé la veille quelque délire. Ces vestiges d’un amour foudroyé par le remords, cette image d’une vie de dissipation, de luxe et de bruit, trahissaient des efforts de Tantale pour embrasser de fuyants plaisirs. Quelques rougeurs semées sur le visage de la jeune femme attestaient la finesse de sa peau, mais ses traits étaient comme grossis, et le cercle brun qui se dessinait sous ses yeux semblait être plus fortement marqué qu’à l’ordinaire. Néanmoins la nature avait assez d’énergie en elle pour que ces indices de folie n’altérassent pas sa beauté. Ses yeux étincelaient. Semblable à l’une de ces Hérodiades dues au pinceau de Léonard de Vinci (j’ai brocanté les tableaux), elle était magnifique de vie et de force ; rien de mesquin dans ses contours ni dans ses traits ; elle inspirait l’amour, et me semblait devoir être plus forte que l’amour. Elle me plut. Il y avait longtemps que mon cœur n’avait battu. J’étais donc déjà payé ! je donnerais mille francs d’une sensation qui me ferait souvenir de ma jeunesse. — Monsieur, me dit-elle en me présentant une chaise, auriez-vous la complaisance d’attendre ? — Jusqu’à demain midi, madame, répondis-je en repliant le billet que je lui avais présenté, je n’ai le droit de protester qu’à cette heure-là. Puis, en moi-même, je me disais : — Paie ton luxe, paie ton nom, paie ton bonheur, paie le monopole dont tu jouis. Pour se garantir leurs biens, les riches ont inventé des tribunaux, des juges, et cette guillotine, espèce de bougie où viennent se brûler les ignorants. Mais, pour vous qui couchez sur la soie et sous la soie, il est des remords, des grincements de dents cachés sous un sourire, et des gueules de lions fantastiques qui vous donnent un coup de dent au cœur. — Un protêt ! y pensez-vous ? s’écria-t-elle en me regardant, vous auriez si peu d’égards pour moi ! — Si le roi me devait, madame, et