Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/406

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à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, monsieur de Restaud entrera bientôt en possession d’une belle fortune. Ceci veut des explications. Quant à Fanny Malvaut, vous la connaissez, c’est ma femme !

— Le pauvre garçon, répliqua la vicomtesse, avouerait cela devant vingt personnes avec sa franchise ordinaire.

— Je le crierais à tout l’univers, dit l’avoué.

— Buvez, buvez, mon pauvre Derville. Vous ne serez jamais rien, que le plus heureux et le meilleur des hommes.

— Je vous ai laissé rue du Helder, chez une comtesse, s’écria l’oncle en relevant sa tête légèrement assoupie. Qu’en avez-vous fait ?

— Quelques jours après la conversation que j’avais eue avec le vieux Hollandais, je passai ma thèse, reprit Derville. Je fus reçu licencié en Droit, et puis avocat. La confiance que le vieil avare avait en moi s’accrut beaucoup. Il me consultait gratuitement sur les affaires épineuses dans lesquelles il s’embarquait d’après des données sûres, et qui eussent semblé mauvaises à tous les praticiens. Cet homme, sur lequel personne n’aurait pu prendre le moindre empire, écoutait mes conseils avec une sorte de respect. Il est vrai qu’il s’en trouvait toujours très bien. Enfin, le jour où je fus nommé maître-clerc de l’étude où je travaillais depuis trois ans, je quittai la maison de la rue des Grès, et j’allai demeurer chez mon patron, qui me donna la table, le logement et cent cinquante francs par mois. Ce fut un beau jour ! Quand je fis mes adieux à l’usurier, il ne me témoigna ni amitié ni déplaisir, il ne m’engagea pas à le venir voir ; il me jeta seulement un de ces regards qui, chez lui, semblaient en quelque sorte trahir le don de seconde vue. Au bout de huit jours, je reçus la visite de mon ancien voisin, il m’apportait une affaire assez difficile, une expropriation ; il continua ses consultations gratuites avec autant de liberté que s’il me payait. A la fin de la seconde année, de 1818 à 1819, mon patron, homme de plaisir et fort dépensier, se trouva dans une gêne considérable, et fut obligé de vendre sa charge. Quoique en ce moment les Études n’eussent pas acquis la valeur exorbitante à laquelle elles sont montées aujourd’hui, mon patron donnait la sienne, en n’en demandant que cent cinquante mille francs. Un homme actif, instruit, intelligent pouvait vivre honorablement, payer les intérêts de cette somme, et s’en libérer en dix années pour peu qu’il inspirât de confiance. Moi, le septième enfant d’un petit bourgeois de