Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/407

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Noyon, je ne possédais pas une obole, et ne connaissais dans le monde d’autre capitaliste que le papa Gobseck. Une pensée ambitieuse, et je ne sais quelle lueur d’espoir me prêtèrent le courage d’aller le trouver. Un soir donc, je cheminai lentement jusqu’à la rue des Grès. Le cœur me battit bien fortement quand je frappai à la sombre maison. Je me souvenais de tout ce que m’avait dit autrefois le vieil avare dans un temps où j’étais bien loin de soupçonner la violence des angoisses qui commençaient au seuil de cette porte. J’allais donc le prier comme tant d’autres. — Eh ! bien, non, me dis-je, un honnête homme doit partout garder sa dignité. La fortune ne vaut pas une lâcheté, montrons-nous positif autant que lui. Depuis mon départ, le papa Gobseck avait loué ma chambre pour ne pas avoir de voisin ; il avait aussi fait poser une petite chatière grillée au milieu de sa porte, et il ne m’ouvrit qu’après avoir reconnu ma figure. — Hé ! bien, me dit-il de sa petite voix flûtée, votre patron vend son Étude. — Comment savez-vous cela ? Il n’en a encore parlé qu’à moi. Les lèvres du vieillard se tirèrent vers les coins de sa bouche absolument comme des rideaux, et ce sourire muet fut accompagné d’un regard froid. — Il fallait cela pour que je vous visse chez moi, ajouta-t-il d’un ton sec et après une pause pendant laquelle je demeurai confondu. — Écoutez-moi, monsieur Gobseck, repris-je avec autant de calme que je pus en affecter devant ce vieillard qui fixait sur moi des yeux impassibles dont le feu clair me troublait. Il fit un geste comme pour me dire : — Parlez. — Je sais qu’il est fort difficile de vous émouvoir. Aussi ne perdrai-je pas mon éloquence à essayer de vous peindre la situation d’un clerc sans le sou, qui n’espère qu’en vous, et n’a dans le monde d’autre cœur que le vôtre dans lequel il puisse trouver l’intelligence de son avenir. Laissons le cœur. Les affaires se font comme des affaires, et non comme des romans, avec de la sensiblerie. Voici le fait. L’étude de mon patron rapporte annuellement entre ses mains une vingtaine de mille francs ; mais je crois qu’entre les miennes elle en vaudra quarante. Il veut la vendre cinquante mille écus. Je sens là, dis-je en me frappant le front, que si vous pouviez me prêter la somme nécessaire à cette acquisition, je serais libéré dans dix ans. — Voilà parler, répondit le papa Gobseck qui me tendit la main et serra la mienne. Jamais, depuis que je suis dans les affaires, reprit-il, personne ne m’a déduit plus clairement les motifs de sa visite. Des garanties ? dit-il en me toisant de