Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/111

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alors son visage se contracta violemment et offrit les signes d’une sévérité que rien ne tempérait.

— Assez, Hélène, lui dit-elle, allez sécher vos larmes dans le boudoir.

— Qu’a-t-elle donc fait, cette pauvre petite ? dit le notaire, qui voulut calmer à la fois la colère de la mère et les pleurs de la fille. Elle est si jolie que ce doit être la plus sage créature du monde ; je suis bien sûr, madame, qu’elle ne vous donne que des jouissances. Pas vrai, ma petite ?

Hélène regarda sa mère en tremblant, essuya ses larmes, tâcha de se composer un visage calme, et s’enfuit dans le boudoir.

— Et certes, disait le notaire en continuant toujours, madame, vous êtes trop bonne mère pour ne pas aimer également tous vos enfants. Vous êtes d’ailleurs trop vertueuse pour avoir de ces tristes préférences dont les funestes effets se révèlent plus particulièrement à nous autres notaires. La société nous passe par les mains ; aussi en voyons-nous les passions sous leur forme la plus hideuse, l’intérêt. Ici, une mère veut déshériter les enfants de son mari au profit des enfants qu’elle leur préfère ; tandis que, de son côté, le mari veut quelquefois réserver sa fortune à l’enfant qui a mérité la haine de la mère. Et c’est alors des combats, des craintes, des actes, des contre-lettres, des ventes simulées, des fidéi-commis ; enfin, un gâchis pitoyable, ma parole d’honneur, pitoyable ! Là, des pères passent leur vie à déshériter leurs enfants en volant le bien de leurs femmes… Oui, volant est le mot. Nous parlions de drame ; ah ! je vous assure que si nous pouvions dire le secret de certaines donations, nos auteurs pourraient en faire de terribles tragédies bourgeoises. Je ne sais pas de quel pouvoir usent les femmes pour faire ce qu’elles veulent : car, malgré les apparences et leur faiblesse, c’est toujours elles qui l’emportent. Ah ! par exemple, elles ne m’attrapent pas moi. Je devine toujours la raison de ces prédilections que dans le monde on qualifie poliment d’indéfinissables ! Mais les maris ne la devinent jamais, c’est une justice à leur rendre. Vous me répondrez à cela qu’il y a des grâces d’ét…

Hélène, revenue avec son père du boudoir dans le salon, écoutait attentivement le notaire, et le comprenait si bien, qu’elle jeta sur sa mère un coup d’œil craintif en pressentant avec tout l’instinct du jeune âge que cette circonstance allait redoubler la sévérité qui grondait sur elle. La marquise pâlit en montrant au comte,