Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/131

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— Qu’avez-vous, ma chère ? demanda le marquis.

— Hélène veut le suivre, dit-elle.

Le meurtrier rougit.

— Puisque ma mère traduit si mal une exclamation presque involontaire, dit Hélène à voix basse, je réaliserai ses vœux.

Après avoir jeté un regard de fierté presque sauvage autour d’elle, la jeune fille baissa les yeux et resta dans une admirable attitude de modestie.

— Hélène, dit le général, vous êtes allée là-haut dans la chambre où j’avais mis… ?

— Oui, mon père.

— Hélène, demanda-t-il d’une voix altérée par un tremblement convulsif, est-ce la première fois que vous avez vu cet homme ?

— Oui, mon père.

— Il n’est pas alors naturel que vous ayez le dessein de…

— Si cela n’est pas naturel, au moins cela est vrai, mon père.

— Ah ! ma fille ?… dit la marquise à voix basse, mais de manière à ce que son mari l’entendît. Hélène, vous mentez à tous les principes d’honneur, de modestie, de vertu, que j’ai tâché de développer dans votre cœur. Si vous n’avez été que mensonge jusqu’à cette heure fatale, alors vous n’êtes point regrettable. Est-ce la perfection morale de cet inconnu qui vous tente ? serait-ce l’espèce de puissance nécessaire aux gens qui commettent un crime ?… Je vous estime trop pour supposer…

— Oh ! supposez tout, madame, répondit Hélène d’un ton froid.

Mais, malgré la force de caractère dont elle faisait preuve en ce moment, le feu de ses yeux absorba difficilement les larmes qui roulèrent dans ses yeux. L’étranger devina le langage de la mère par les pleurs de la jeune fille, et lança son coup d’œil d’aigle sur la marquise, qui fut obligée, par un irrésistible pouvoir, de regarder ce terrible séducteur. Or, quand les yeux de cette femme rencontrèrent les yeux clairs et luisants de cet homme, elle éprouva dans l’âme un frisson semblable à la commotion qui nous saisit à l’aspect d’un reptile, ou lorsque nous touchons à une bouteille de Leyde.

— Mon ami, cria-t-elle à son mari, c’est le démon ! Il devine tout…