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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/243

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peine vingt-cinq mille livres de rente, et qu’est-ce que cela pour elle !

— La misère, ma chère.

— Oui, elle s’est dépouillée pour sa fille. Monsieur de Manerville a été d’une exigence…

— Excessive ! dit maître Solonet. Mais il sera pair de France. Les Maulincour, le vidame de Pamiers, le protégeront ; il appartient au faubourg Saint-Germain.

— Oh ! il y est reçu, voilà tout, dit une dame qui l’avait voulu pour gendre. Mademoiselle Évangélista, la fille d’un commerçant, ne lui ouvrira certes pas les portes du chapitre de Cologne.

— Elle est petite-nièce du duc de Casa-Réal.

— Par les femmes !

Tous les propos furent bientôt épuisés. Les joueurs se mirent au jeu, les jeunes filles et les jeunes gens dansèrent, le souper se servit, et le bruit de la fête s’apaisa vers le matin, au moment où les premières lueurs du jour blanchirent les croisées. Après avoir dit adieu à Paul, qui s’en alla le dernier, madame Évangélista monta chez sa fille, car sa chambre avait été prise par l’architecte pour agrandir le théâtre de la fête. Quoique Natalie et sa mère fussent accablées de sommeil, quand elles furent seules, elles se dirent quelques paroles.

— Voyons, ma mère chérie, qu’avez-vous ?

— Mon ange, j’ai su ce soir jusqu’où pouvait aller la tendresse d’une mère. Tu ne connais rien aux affaires et tu ignores à quels soupçons ma probité vient d’être exposée. Enfin j’ai foulé mon orgueil à mes pieds : il s’agissait de ton bonheur et de notre réputation.

— Vous voulez parler de ces diamants ? Il en a pleuré le pauvre garçon. Il n’en a pas voulu, je les ai.

— Dors, chère enfant. Nous causerons d’affaires à notre réveil ; car, dit-elle en soupirant, nous avons des affaires, et maintenant il existe un tiers entre nous.

— Ah ! chère mère, Paul ne sera jamais un obstacle à notre bonheur, dit Natalie en s’endormant.

— Pauvre fillette, elle ne sait pas que cet homme vient de la ruiner !

Madame Évangélista fut alors saisie par la première pensée de cette avarice à laquelle les gens âgés finissent par être en proie. Elle voulut reconstituer au profit de sa fille toute la fortune laissée