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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/271

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affaires. Quel cœur, Paul ! J’étais joyeuse, je revenais pour t’annoncer ces deux bonnes nouvelles en déjeunant sous la tente de notre serre où je t’avais préparé les gourmandises que tu aimes. Augustine me remet ta lettre. Une lettre de toi, quand nous avions dormi ensemble, n’était-ce pas tout un drame ? Il m’a pris un frisson mortel, et puis j’ai lu !… J’ai lu en pleurant, et ma mère fondait en larmes aussi ! Ne faut-il pas bien aimer un homme pour pleurer, car les pleurs enlaidissent une femme. J’étais à demi morte. Tant d’amour et tant de courage ! tant de bonheur et tant de misères ! les plus riches fortunes du cœur et la ruine momentanée des intérêts ! ne pas pouvoir presser le bien-aimé dans le moment où l’admiration de sa grandeur vous étreint, quelle femme eût résisté à cette tempête de sentiments ? Te savoir loin de moi quand ta main sur mon cœur m’aurait fait tant de bien ; tu n’étais pas là pour me donner ce regard que j’aime tant, pour te réjouir avec moi de la réalisation de tes espérances ; et je n’étais pas près de toi pour adoucir tes peines par ces caresses qui te rendent ta Natalie si chère, et qui te font tout oublier. J’ai voulu partir, voler à tes pieds ; mais ma mère m’a fait observer que le départ de la Belle-Amélie devait avoir lieu le lendemain ; que la poste seule pouvait aller assez vite, et que, dans l’état où j’étais, ce serait une insigne folie que de risquer tout un avenir dans un cahot. Quoique déjà mère, j’ai demandé des chevaux, ma mère m’a trompée en me laissant croire qu’on les amènerait. Et elle a sagement agi, les premiers malaises de la grossesse ont commencé. Je n’ai pu soutenir tant d’émotions violentes, et je me suis trouvée mal. Je t’écris au lit, les médecins ont exigé du repos pendant les premiers mois. Jusqu’alors j’étais une femme frivole, maintenant je vais être une mère de famille. La Providence est bien bonne pour moi, car un enfant à nourrir, à soigner, à élever peut seul amoindrir les douleurs que me causera ton absence. J’aurai en lui un autre toi que je fêterai. J’avouerai hautement mon amour que nous avons si soigneusement caché. Je dirai la vérité. Ma mère a déjà trouvé l’occasion de démentir quelques calomnies qui courent sur ton compte. Les deux Vandenesse, Charles et Félix t’ont bien noblement défendu ; mais ton ami de Marsay prend tout en raillerie : il se moque de tes accusateurs, au lieu de leur répondre : je n’aime pas cette manière de repousser légèrement des attaques sérieuses. Ne te trompes-tu pas sur lui ? Néanmoins je t’obéirai, j’en ferai mon ami. Sois