Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/28

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— Vous écriviez à votre mari ?

— Sais-je où il est ? reprit la comtesse.

La tante prit le papier et le lut. Elle avait apporté ses lunettes, il y avait préméditation. L’innocente créature laissa prendre la lettre sans faire la moindre observation. Ce n’était ni un défaut de dignité, ni quelque sentiment de culpabilité secrète qui lui ôtait ainsi toute énergie ; non, sa tante se rencontra là dans un de ces moments de crise où l’âme est sans ressort, où tout est indifférent, le bien comme le mal, le silence aussi bien que la confiance. Semblable à une jeune fille vertueuse qui accable un amant de dédains, mais qui, le soir, se trouve si triste, si abandonnée, qu’elle le désire, et veut un cœur où déposer ses souffrances, Julie laissa violer sans mot dire le cachet que la délicatesse imprime à une lettre ouverte, et resta pensive pendant que la marquise lisait.

« Ma chère Louisa, pourquoi réclamer tant de fois l’accomplissement de la plus imprudente promesse que puissent se faire deux jeunes filles ignorantes ? Tu te demandes souvent, m’écris-tu, pourquoi je n’ai pas répondu depuis six mois à tes interrogations. Si tu n’as pas compris mon silence, aujourd’hui tu en devineras peut-être la raison en apprenant les mystères que je vais trahir. Je les aurais à jamais ensevelis dans le fond de mon cœur, si tu ne m’avertissais de ton prochain mariage. Tu vas te marier, Louisa. Cette pensée me fait frémir. Pauvre petite, marie-toi ; puis, dans quelques mois, un de tes plus poignants regrets viendra du souvenir de ce que nous étions naguère, quand un soir, à Écouen, parvenues toutes deux sous les plus grands chênes de la montagne, nous contemplâmes la belle vallée que nous avions à nos pieds et que nous y admirâmes les rayons du soleil couchant dont les reflets nous enveloppaient. Nous nous assîmes sur un quartier de roche, et tombâmes dans un ravissement auquel succéda la plus douce mélancolie. Tu trouvas la première que ce soleil lointain nous parlait d’avenir. Nous étions bien curieuses et bien folles alors ! Te souviens-tu de toutes nos extravagances ? Nous nous embrassâmes comme deux amants, disions-nous. Nous nous jurâmes que la première mariée de nous deux raconterait fidèlement à l’autre ces secrets d’hyménée, ces joies que nos âmes enfantines nous peignaient si délicieuses. Cette soirée fera ton désespoir, Louisa. Dans ce temps, tu étais jeune, belle, insouciante, sinon heureuse ; un mari te rendra, en peu de jours, ce que je suis déjà, laide, souf-