Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/288

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vouloir et sait frapper. Vois où nous en sommes. Mon vrai père fait partie du ministère anglais. Nous aurons des intelligences en Espagne par les Évangélista ; car une fois que nous aurons mesuré nos griffes, ta belle-mère et moi, nous verrons qu’il n’y a rien à gagner quand on se trouve diable contre diable. Montriveau, mon cher, est lieutenant-général ; il sera certes un jour ministre de la guerre, car son éloquence lui donne un grand ascendant sur la chambre. Voici Ronquerolles ministre d’état et du conseil privé. Martial de La Roche-Hugon est ambassadeur, il nous apporte en dot le maréchal duc de Carigliano et tout le croupion de l’empire qui s’est soudé si bêtement à l’échine de la restauration. Serizy mène le conseil d’état où il est indispensable. Granville tient la magistrature à laquelle appartiennent ses deux fils ; les Grandlieu sont admirablement bien en cour ; Féraud est l’âme de la coterie Gondreville, bas intrigants qui sont toujours en haut, je ne sais pourquoi. Appuyés ainsi, qu’avons-nous à craindre ? Nous avons un pied dans toutes les capitales, un œil dans tous les cabinets, et nous enveloppons l’administration sans qu’elle s’en doute. La question argent n’est-elle pas une misère, un rien dans ces grands rouages préparés ? Qu’est surtout une femme ? resteras-tu donc toujours lycéen ? Qu’est la vie, mon cher, quand une femme est toute la vie ? une galère dont on n’a pas le commandement, qui obéit à une boussole folle, mais non sans aimant, que régissent des vents contraires et où l’homme est un vrai galérien qui exécute non-seulement la loi, mais encore celle qu’improvise l’argousin, sans vengeance possible. Pouah ! Je comprends que par passion, ou pour le plaisir que l’on éprouve à transmettre sa force à des mains blanches, on obéisse à une femme ; mais obéir à Médor ?… dans ce cas, je brise Angélique. Le grand secret de l’alchimie sociale, mon cher, est de tirer tout le parti possible de chacun des âges par lesquels nous passons, d’avoir toutes ses feuilles au printemps, toutes ses fleurs en été, tous les fruits en automne. Nous nous sommes amusés, quelques bons vivants et moi, comme des mousquetaires noirs, gris et rouges, pendant douze années, ne nous refusant rien, pas même une entreprise de flibustier par ci par là ; maintenant nous allons nous mettre à secouer les prunes mûres dans l’âge où l’expérience a doré les moissons. Viens avec nous, tu auras ta part dans le pudding que nous allons cuisiner. Arrive, et tu trouveras un ami tout à toi dans la peau de

Henri de M.