Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/338

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mal, et les gentilshommes savants avaient quitté leur patrie. Apprends si tu veux !

Elle se rassit et se remit à tricoter avec l’activité que lui prêtait son émotion intérieure. Calyste fut frappé de ce discours à la Phocion.

— Enfin, mon ange, j’ai le pressentiment de quelque malheur pour toi dans cette maison, dit la mère d’une voix altérée et en roulant des larmes.

— Qui fait pleurer Fanny ? s’écria le vieillard réveillé en sursaut par le son de voix de sa femme. Il regarda sa sœur, son fils et la baronne. — Qu’y a-t-il ?

— Rien, mon ami, répondit la baronne.

— Maman, répondit Calyste à l’oreille de sa mère et à voix basse, il m’est impossible de m’expliquer en ce moment, mais ce soir nous causerons. Quand vous saurez tout, vous bénirez mademoiselle des Touches.

— Les mères n’aiment pas à maudire, répondit la baronne, et je ne maudirais pas la femme qui aimerait bien mon Calyste.

Le jeune homme dit adieu à son vieux père et sortit. Le baron et sa femme se levèrent pour le regarder passer dans la cour, ouvrir la porte et disparaître. La baronne ne reprit pas le journal, elle était émue. Dans cette vie si tranquille, si unie, la courte discussion qui venait d’avoir lieu équivalait à une querelle chez une autre famille. Quoique calmée, l’inquiétude de la mère n’était d’ailleurs pas dissipée. Où cette amitié, qui pouvait réclamer la vie de Calyste et la mettre en péril, l’allait-elle mener ! Comment la baronne aurait-elle à bénir mademoiselle des Touches ? Ces deux questions étaient aussi graves pour cette âme simple que pour des diplomates la révolution la plus furieuse. Camille Maupin était une révolution dans cet intérieur doux et calme.

— J’ai bien peur que cette femme ne nous le gâte, dit-elle en reprenant le journal.

— Ma chère Fanny, dit le vieux baron d’un air égrillard, vous êtes trop ange pour concevoir ces choses-là. Mademoiselle des Touches est, dit-on, noire comme un corbeau, forte comme un Turc, elle a quarante ans, notre cher Calyste devait s’adresser à elle. Il fera quelques petits mensonges bien honorables pour cacher son bonheur. Laissez-le s’amuser à sa première tromperie d’amour.