Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/408

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Calyste, et ce regard suffit pour anéantir tous ses souvenirs d’enfance, ses croyances aux Kergarouët-Pen-Hoël, et pour briser à jamais les projets conçus par les deux familles.

— Nous pouvons très bien tenir cinq dans la voiture, répondit mademoiselle des Touches, à qui Jacqueline tourna le dos. Quand nous serions horriblement gênées, ce qui n’est pas possible à cause de la finesse de vos tailles, je serais bien dédommagée par le plaisir de rendre service aux amis de Calyste. Votre femme de chambre, madame, trouvera place ; et vos paquets, si vous en avez, peuvent tenir derrière la calèche, je n’ai pas amené de domestique.

La vicomtesse se confondit en remercîments et gronda sa sœur Jacqueline d’avoir voulu si promptement sa nièce qu’elle ne lui avait pas permis de venir dans sa voiture par le chemin de terre ; mais il est vrai que la route de poste était non-seulement longue, mais coûteuse ; elle devait revenir promptement à Nantes où elle laissait trois autres petites chattes qui l’attendaient avec impatience, dit-elle en caressant le cou de sa fille. Charlotte eut alors un petit air de victime, en levant les yeux vers sa mère, qui fit supposer que la vicomtesse ennuyait prodigieusement ses quatre filles en les mettant aussi souvent en jeu que le caporal Trim son bonnet.

— Vous êtes une heureuse mère, et vous devez… dit Camille qui s’arrêta en pensant que la marquise avait dû se priver de son fils en suivant Conti.

— Oh ! reprit la vicomtesse, si j’ai le malheur de passer ma vie à la campagne et à Nantes, j’ai la consolation d’être adorée par mes enfants. Avez-vous des enfants ? demanda-t-elle à Camille.

— Je me nomme mademoiselle des Touches, répondit Camille. Madame est la marquise de Rochegude.

— Il faut vous plaindre alors de ne pas connaître le plus grand bonheur qu’il y ait pour nous autres pauvres simples femmes, n’est-ce pas, madame ? dit la vicomtesse à la marquise pour réparer sa faute. Mais vous avez tant de dédommagements !

Il vint une larme chaude dans les yeux de Béatrix qui se tourna brusquement, et alla jusqu’au grossier parapet du rocher, où Calyste la suivit.

— Madame, dit Camille à l’oreille de la vicomtesse, ignorez-vous que la marquise est séparée de son mari, qu’elle n’a pas vu son fils depuis dix-huit mois, et qu’elle ne sait pas quand elle le verra ?