elle annonce ses émotions les plus violentes ; il vint assez gauchement auprès d’elle, lui prit la main et la baisa. Camille se mit négligemment au piano, comme une femme sûre de son amie et de l’adorateur qu’elle s’attribuait, en leur tournant le dos et les laissant presque seuls. Elle improvisa des variations sur quelques thèmes choisis à son insu par son esprit, car ils furent d’une mélancolie excessive. La marquise paraissait écouter, mais elle observait Calyste, qui, trop jeune et trop naïf pour jouer le rôle que lui donnait Camille, était en extase devant sa véritable idole. Après une heure, pendant laquelle mademoiselle des Touches se laissa naturellement aller à sa jalousie, Béatrix se retira chez elle. Camille fit aussitôt passer Calyste dans sa chambre, afin de ne pas être écoutée, car les femmes ont un admirable instinct de défiance.
— Mon enfant, lui dit-elle, ayez l’air de m’aimer, ou vous êtes perdu. Vous êtes un enfant, vous ne connaissez rien aux femmes, vous ne savez qu’aimer. Aimer et se faire aimer sont deux choses bien différentes. Vous allez tomber en d’horribles souffrances, et je vous veux heureux. Si vous contrariez non pas l’orgueil, mais l’entêtement de Béatrix, elle est capable de s’envoler à quelques lieues de Paris, auprès de Conti. Que deviendrez-vous alors ?
— Je l’aimerai, répondit Calyste.
— Vous ne la verrez plus.
— Oh ! si, dit-il.
— Et comment ?
— Je la suivrai.
— Mais tu es aussi pauvre que Job, mon enfant.
— Mon père, Gasselin et moi, nous sommes restés pendant trois mois en Vendée avec cent cinquante francs, marchant jour et nuit.
— Calyste, dit mademoiselle des Touches, écoutez-moi bien. Je vois que vous avez trop de candeur pour feindre, je ne veux pas corrompre un aussi beau naturel que le vôtre, je prendrai tout sur moi. Vous serez aimé de Béatrix.
— Est-ce possible ? dit-il en joignant les mains.
— Oui, répondit Camille, mais il faut vaincre chez elle les engagements qu’elle a pris avec elle-même. Je mentirai donc pour vous. Seulement ne dérangez rien dans l’œuvre assez ardue que je vais entreprendre. La marquise possède une finesse aristocratique, elle est spirituellement défiante ; jamais chasseur ne rencontra de proie plus difficile à prendre : ici donc, mon pauvre garçon, le chasseur