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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/418

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Conti les motifs de son départ, Béatrix en fut naturellement instruite, elle déployait donc de la générosité en marquant de la froideur à Calyste ; mais en ce moment il s’éleva dans son âme ce mouvement de joie qui frétille au fond du cœur de toutes les femmes quand elles se savent aimées. L’amour qu’elles inspirent à un homme comporte des éloges sans hypocrisie, et qu’il est difficile de ne pas savourer ; mais quand cet homme appartient à une amie, ses hommages causent plus que de la joie, c’est de célestes délices. Béatrix s’assit auprès de son amie et lui fit de petites cajoleries.

— Tu n’as pas un cheveu blanc, lui dit-elle, tu n’as pas une ride, tes tempes sont encore fraîches, tandis que je connais plus d’une femme de trente ans obligée de cacher les siennes. Tiens, ma chère, dit-elle en soulevant ses boucles, vois ce que m’a coûté mon voyage ?

La marquise montra l’imperceptible flétrissure qui fatiguait là le grain de sa peau si tendre ; elle releva ses manchettes et fit voir une pareille flétrissure à ses poignets, où la transparence du tissu déjà froissé laissait voir le réseau de ses vaisseaux grossis, où trois lignes profondes lui faisaient un bracelet de rides.

— N’est-ce pas, comme l’a dit un écrivain à la piste de nos misères, les deux endroits qui ne mentent point chez nous ? dit-elle. Il faut avoir bien souffert pour reconnaître la vérité de sa cruelle observation ; mais, heureusement pour nous, la plupart des hommes n’y connaissent rien, et ne lisent pas cet infâme auteur.

— Ta lettre m’a tout dit, répondit Camille, le bonheur ignore la fatuité, tu t’y vantais trop d’être heureuse. En amour, la vérité n’est-elle pas sourde, muette et aveugle ? Aussi, te sachant bien des raisons d’abandonner Conti, redouté-je ton séjour ici. Ma chère, Calyste est un ange, il est aussi bon qu’il est beau, le pauvre innocent ne résisterait pas à un seul de tes regards, il t’admire trop pour ne pas t’aimer à un seul encouragement ; ton dédain me le conservera. Je te l’avoue avec la lâcheté de la passion vraie : me l’arracher, ce serait me tuer. Adolphe, cet épouvantable livre de Benjamin Constant, ne nous a dit que les douleurs d’Adolphe, mais celles de la femme ? hein ! il ne les a pas assez observées pour nous les peindre. Et quelle femme oserait les révéler, elles déshonoreraient notre sexe, elles en humilieraient les vertus, elles en étendraient les vices. Ah ! si je les mesure par mes craintes, ces souffrances ressemblent à celles de l’enfer. Mais en cas d’abandon, mon thème est fait.