Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/242

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— Monsieur, dit Charles, il ne se trouve en tout ceci qu’une erreur, mais elle est capitale. Ma fille n’a pas six millions, elle a tout au plus deux cent mille francs de dot et des espérances très douteuses.

— Ah ! monsieur, dit Ernest en se levant, se jetant sur Charles Mignon et le serrant, vous m’ôtez un poids qui m’oppressait ! Rien ne s’opposera peut-être plus à mon bonheur !… J’ai des protecteurs, je serai Maître des Comptes. N’eût-elle que dix mille francs, fallût-il lui reconnaître une dot, mademoiselle Modeste serait encore ma femme ; et la rendre heureuse, comme vous avez rendu la vôtre, être pour vous un vrai fils… (oui, monsieur, je n’ai plus mon père), voilà le fond de mon cœur.

Charles Mignon recula de trois pas, arrêta sur La Brière un regard qui pénétra dans les yeux du jeune homme comme un poignard dans sa gaîne, et il resta silencieux en trouvant la plus entière candeur, la vérité la plus pure sur cette physionomie épanouie, dans ces yeux enchantés. ─ Le sort se lasserait-il donc !… se dit-il à demi-voix, et trouverais-je dans ce garçon la perle des gendres ? Il se promena très agité par la chambre.

— Vous devez, monsieur, dit enfin Charles Mignon, la plus entière soumission à l’arrêt que vous êtes venu chercher ; car, sans cela, vous joueriez en ce moment la comédie.

— Oh ! monsieur…

— Écoutez-moi, dit le père en clouant sur place La Brière par un regard. Je ne serai ni sévère, ni dur, ni injuste. Vous subirez et les inconvénients et les avantages de la position fausse dans laquelle vous vous êtes mis. Ma fille croit aimer un des grands poëtes de ce temps-ci, et dont la gloire, avant tout, l’a séduite. Eh bien ! moi, son père, ne dois-je pas la mettre à même de choisir entre la Célébrité qui fut comme un phare pour elle, et la pauvre Réalité que le hasard lui jette par une de ces railleries qu’il se permet si souvent ? Ne faut-il pas qu’elle puisse opter entre Canalis et vous ? Je compte sur votre honneur pour vous taire sur ce que je viens de vous dire relativement à l’état de mes affaires. Vous viendrez, vous et votre ami le baron de Canalis, au Havre passer cette dernière quinzaine du mois d’octobre. Ma maison vous sera ouverte à tous deux, ma fille aura le loisir de vous observer. Songez que vous devez amener vous-même votre rival et lui laisser croire tout ce qu’on dira de fabuleux sur les millions du comte de La Bastie. Je